Marceline Loridan-Ivens : Et tu n'es pas revenu
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Et tu n’es pas revenu par Marceline Loridan-Ivens
Grasset (2015) 106 pages.
Livre très émouvant, Et tu n’es pas revenu écrit avec Judith Perrignon, journaliste et romancière, permet à Marceline Loridan-Ivens de s’adresser à Shloïme Rozenberg, son père, déporté en même temps qu’elle : « Toi à Auschwitz, moi à Birkenau ».
Elle a 15 ans quand elle vit ce drame comme des millions d’autres victimes de la barbarie nazie. Séparé d’elle par 3 km, son père réussit à lui faire passer un papier par l’intermédiaire de l’électricien qui changeait les rares ampoules des baraquements et cette lettre commençait par ces mots : « Ma chère petite fille. »
Petit à petit, les souvenirs reviennent. À Drancy, elle répète, comme les autres : « Nous allons à Pitchipoï », mot yiddish qui désigne une destination inconnue. Son père lui dit : « Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. » Ils se sont croisés une fois, entre Auschwitz et Birkenau et elle écrit : « tu étais encore assez fort pour être leur esclave, comme moi. » Cette rencontre a failli leur être fatale puisque Marceline a été frappée, insultée alors que son père hurlait : « C’est ma fille ! »
Le matricule 78 750 gravé sur son avant-bras gauche signifie qu’elle a été retenue pour travailler en se faisant passer pour plus âgée qu’elle n’était. Les enfants, comme les vieillards étaient immédiatement, dès leur arrivée, dirigés vers les crématoires…
Elle parle aussi du retour, de ce qui aurait dû être la fin du cauchemar mais qui se transforme en une épreuve : « Personne ne voulait de mes souvenirs… » Sa mère veut savoir si elle a été violée et ne comprend pas que « nous étions la sale race juive, des Stück, des bêtes puantes. »
En même temps qu’elle raconte la vie qu’elle tente de retrouver, reviennent les tris de Mengele, les déplacements incessants devant l’avancée des Alliés : de Birkenau à Bergen-Belsen puis à Raguhn, à Leipzig et enfin à Theresienstad en Tchécoslovaquie, en avril 1945 où elle retrouve enfin la liberté, perdant hélas Renée, sa meilleure amie, emportée par le typhus comme tant d’autres.
Elle parle aussi de ses tentatives de suicide, de ceux qui n’ont pas supporté, de son premier mari mais surtout de Joris Ivens, un poète, un artiste, un grand du documentaire venu de Hollande, un homme qu’elle suivra au Vietnam, en Chine…
Enfin, elle rappelle que 76 500 juifs de France sont partis pour Auschwitz-Birkenau, qu’à 86 ans « le double de ton âge quand tu es mort », elle fait partie des 160 survivants qui vivent encore sur les 2 500 qui sont revenus mais surtout que 6 millions et demi de juifs sont morts dans les camps. Fallait-il en revenir ? « Juste avant que je m’en aille, je saurai dire oui, ça valait le coup. »
Et tu n’es pas revenu est un témoignage à lire absolument car Marceline Loridan-Ivens y a mis tout son cœur en même temps qu’une énergie incroyable, cette même énergie qui lui a permis de franchir tant d’obstacles.
Jean-Paul