Maylis de Kerangal : Un monde à portée de main
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Un monde à portée de main par Maylis de Kerangal.
Éditions Verticales (2018), 284 pages ; Feryane (2018) 368 pages..
Sur un sujet pas évident, la peinture de décors en trompe-l’œil, Maylis de Kerangal réussit un nouveau roman passionnant, intrigant et surtout très instructif, comme elle l’avait superbement fait avec Réparer les vivants, sur un thème complètement différent.
Un monde à portée de main m’a entraîné sur les pas de Paula Karst qui, à 20 ans, est entrée à l’Institut de peinture, rue du métal, à Saint-Gilles (Bruxelles) où elle s’est liée d’amitié avec Kate et Jonas.
Maylis de Kerangal m’a fait vivre les doutes, les difficultés d’une étudiante qui quitte le cocon familial parisien, abandonne des rêves pour plonger dans un monde rude et sans concession mais où elle réussit à exprimer son talent. Pourtant, les difficultés la submergent. Elle veut abandonner pendant que : « Jonas est l’étoile de l’atelier et s’en tire fort bien seul, c’est ce qu’elle réplique d’un ton dur ; il est aérien, indifférent, farouche, prend ses repas dehors et ne rentre que pour dormir, de sorte que Paula ne le croise guère qu’à l’école où cela fait longtemps que quelqu’un d’aussi doué n’a pas franchi la porte. »
J’ai beaucoup aimé vivre au plus près de ces artistes au rôle ingrat mais qui obtiennent des résultats extraordinaires. Le livre offre de tendres moments, d’une complicité émouvante et si bien décrite. Malgré cela, pour réussir, ils souffrent dans leur corps mais : « Ils sont tout terrain et polyvalents, s’adaptent à toutes les pratiques, à tous les protocoles, à tous les rythmes, c’est d’ailleurs en cela qu’ils sont utiles, c’est pour cela qu’on les embauche. » Suivre Paula dans les divers travaux qu’elle mène après l’école bruxelloise est passionnant, surtout quand elle est à Rome où elle peint des décors à Cinecitta qui, hélas, n’a pratiquement plus que la téléréalité et les spots publicitaires pour maintenir une activité.
Enfin, alors qu’un moment important du livre nous avait emmenés dans une carrière de marbre, le cerfontaine, une belle séquence, c’est à Montignac (Dordogne) que nous nous retrouvons enfin pour la réalisation des panneaux de Lascaux IV, réplique intégrale de cette merveille de la préhistoire.
Maylis de Kerangal (photo ci-contre) en profite pour nous conter, par Paula interposée, l’histoire, connue certes, mais à laquelle elle ajoute certains détails que j’ignorais. Je n’en citerai qu’un. Simon Coencas (13 ans), un des jeunes découvreurs de la grotte, était, avec sa sœur, « seuls survivants de la famille, internée à Drancy, déportée, puis assassinée à Auschwitz. »
Tout le charme d’un livre comme celui-ci est de nous apporter des informations, des découvertes d’un monde pas ou peu connu et de nous faire vivre avec des personnes qui tentent de réussir leur vie malgré difficultés et obstacles. Un grand plaisir de lecture.
Jean-Paul