Philippe Jaenada : La serpe

La serpe      par    Philippe Jaenada

Julliard (2017). 643 pages ; Points (2018) 648 pages.

Prix Femina 2017.

 

 

L’épaisseur du livre ne doit pas impressionner. Il faut se lancer sans hésiter dans la lecture de Philippe Jaenada (photo ci-contre) car ses enquêtes sont passionnantes, pleines de rebondissements et de révélations. La petite femelle remettait bien les choses en place pour Pauline Dubuisson alors que La serpe éclaire d’un jour nouveau la vie de l’auteur du Salaire de la peur, Georges Arnaud, qui s’appelait en fait Henri Girard. C’est Emmanuel, le petit-fils de celui-ci, qui a réussi à motiver l’écrivain afin qu’il reprenne toute l’histoire.

 

 

Tout au long de sa quête, l’auteur fait partager ses soucis, ses problèmes matériels, sa vie de famille, avec un humour réjouissant qui agrémente la lecture. À de nombreuses reprises, est cité le nom de Roger Martin et son livre Vie d’un rebelle dans lequel, l’auteur de Dernier convoi pour Buchenwald fournissait déjà beaucoup d’éléments.

 

 

Dans la première partie de La serpe, Philippe Jaenada retrace la vie d’Henri Girard connu comme « sale gosse, vrai démon, capricieux, irascible, violent, cynique, méprisant qui pompe tout l’argent de sa famille pour le claquer aussitôt ». Quand on apprend qu’il était dans le château d’Escoire, en Dordogne, lorsque son père, sa tante et la bonne ont été assassinés à coups de serpe dans la nuit du 24 au 25 octobre 1941, tout l’accuse d’autant plus qu’il paraît froid, détaché, sombre, fume et boit de l’eau-de-vie de prune lorsque ces crimes odieux sont découverts…

 

 

Pourtant, lors de son procès, Henri Girard sera acquitté à la surprise générale grâce à Maurice Garçon, son avocat. Il partira en Amérique du Sud et reviendra pour se battre contre l’injustice et poursuivre un métier d’écrivain bien lancé par Le salaire de la peur.

 

 

L’enquête est minutieuse, bien documentée. Philippe Jaenada s’est rendu sur place, a réussi à visiter le château mais a surtout épluché les archives départementales, à Périgueux. Il étudie toutes les hypothèses, laisse supposer le ou les vrais coupables.

 

Lorsque tout cela se passe, la France est coupée en deux et c’est la guerre. L’auteur lit les journaux de l’époque. L’Allemagne est traitée comme un pays ami, la collaboration et l’antisémitisme sont la règle ce qui donne des pages glaçantes.

 

 

Bien sûr, Philippe Jaenada repasse l’enquête, ses approximations, ses oublis, ses aberrations au peigne fin : la possibilité d’entrer dans le château sans effraction en pleine nuit, la scène de crime ouverte à tous, les incohérences ne manquent pas.

 

 

Henri Girard a connu dix-neuf mois d’enfer dans la prison insalubre de Périgueux, jusqu’à son procès, le 27 mai 1943. Son avocat, Maurice Garçon, était l’ami de Georges Girard, le père qui écrivait : « Je suis fier de mon petit. » Philippe Jaenada lit la correspondance entre Henri et son père et réagit : « Je n’ai jamais rien lu de plus beau sur les liens entre un père et son fils… Ce n’est pas de la tendresse, de l’attachement, de l’estime, mais de l’amitié, de la confiance et de l’admiration réciproques, de l’amour sans condition, sans contraintes ni jugement, l’union d’un homme et de celui qui prendra sa place sur terre… »

 

 

On ne peut être plus explicite et choqué, avec l’auteur, devant l’attitude des juges Marigny et Testud qui font tout pour ne pas rechercher l’enragé, le fou qui a commis ces crimes, une fois Henri Girard acquitté. Finalement : « Henri est la quatrième victime. Il a perdu le père qu’il aimait, il a passé dix-neuf mois dans une prison ignoble accusé d’un crime ignoble et toute sa vie en a été altérée. »

 

Reste, maintenant, à lire ou à relire les livres de Georges Arnaud, pseudonyme reprenant le prénom de son père et le nom de jeune fille de sa mère décédée alors qu’il n’a que 9 ans : Le salaire de la peur, Le Voyage du mauvais larron…

Jean-Paul

 
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