Sorj Chalandon : Profession du père

Profession du père    par    Sorj Chalandon.

Grasset (2015) 315 pages ; Le Livre de Poche (2016) 288 pages.

 

 

Retrouver Sorj Chalandon est toujours un immense plaisir mais il faut avouer que j’ai été un peu dérouté par les premières pages de ce roman, pages très dures, difficiles à admettre, sachant que l’auteur parle, pour l’essentiel, de ce qu’il a vécu lorsqu’il était enfant.

 

 

Profession du père débute au crématoire, le samedi 23 avril 2011, où Émile Choulans se trouve seul avec sa mère. Fadila, sa femme, et Clément, son fils, sont absents, « ce n’était pas un lieu pour eux ». Cette scène reviendra à la fin du livre mais, entre-temps, Émile raconte ce que son père, le défunt, lui a fait vivre.

 

 

Le retour en arrière ramène au dimanche 23 avril 1961. Devant la télé, André, le père, insulte de Gaulle. Il appelle sa femme et son fils : « Denise, Picasso, venez ! C’est la guerre ! » Celui qu’il nomme Picasso, c’est son fils qui a 9 ans et qui raconte. Son carnet à dessin est son refuge car son père est un véritable mythomane. Au fil des pages, je découvre qu’il dit avoir été à l’origine de la création des Compagnons de la chanson en 1961, groupe dont il a été exclu… mais aussi parachutiste, pasteur pentecôtiste, ceinture noire de judo, footballeur professionnel, qu’il a aussi contribué à cacher Rudolf Noureev fuyant l’Urss, etc… L’imagination de cet homme est sans bornes mais, le problème, c’est qu’elle cause beaucoup de dégâts chez son fils.

 

Non seulement, il l’oblige à écrire OAS (Organisation de l’armée secrète) sur les murs après le putsch manqué des généraux à Alger, en avril 1961 mais la moindre erreur ou faiblesse de sa part lui vaut des corrections violentes de tous les styles : ceinture, martinet, coups de pied, plus les privations de nourriture et l’enfermement dans une armoire appelée « la maison de correction. »

 

Il y a aussi Ted, le fameux ami américain, toujours invisible et soi-disant parrain de l’enfant qui ne tarde pas à jouer à l’agent secret aux dépens d’un autre camarade plus crédule que lui. Finalement, son plus gros problème, il le rencontre à l’école lors du questionnaire de rentrée qui demande « Profession du père ». Que mettre ? Quand sa mère propose « Sans profession », cela plaît à son père qui déclare avec la délicatesse qui le caractérise : « Tu sais qu’elle est loin d’être conne, la vieille ? »

 

 

 

 

S’il n’y avait les violences physiques et tous ces traumatismes accumulés, certains épisodes seraient amusants comme la scène du meeting aérien. Lorsqu’Émile trouve un travail, après le bac, il se fait brocarder par son père qui l’appelle « l’incapable ». À 21 ans, il gagne 3,27 F de l’heure, comme apprenti ébéniste, mais le père en prend la moitié pour payer la pension.

 

 

 

 

« J’ai eu peur du sommeil. Peur de fermer les yeux. Peur de ne pas me réveiller. De mourir là, dans une rue en hiver. Et personne, jamais, ne m’a consolé de ces nuits. » Que dire de plus que ces mots terribles écrits par l’auteur qui avoue : « Notre famille de rien. » ?

 

« Entre l’effroi absolu et la comédie drôle », Profession du père, c’est le roman d’un fils pour son père aimé malgré tout. Comme l’a déclaré Sorj Chalandon (photo ci-dessus) : « S’il n’avait pas été violent, cela aurait été une enfance assez formidable. »

 

Un grand merci à Élodie pour m’avoir permis de lire ce roman d’un auteur que j’apprécie beaucoup.

Jean-Paul

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