Caryl Férey : Mapuche
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Mapuche par Caryl Férey.
Gallimard, série noire (2012), 449 pages ; Folio policier (2016) 560 pages

Si ce livre n’était que passionnant, haletant, émouvant, au suspense à peine supportable, ce serait un bon polar comme d’autres… mais Caryl Férey, avec Mapuche, va bien au-delà. Il réussit une plongée indispensable dans ce que fut la dictature en Argentine, afin que l’oubli ne recouvre pas tous ces crimes, toutes ces abominations commises il n’y a pas si longtemps et dont les plaies ne cicatriseront jamais.
Le Processus de réorganisation nationale - dénomination officielle d’une dictature qui a duré de 1976 à 1983, imitant ce que l’Uruguay avait fait auparavant, avec l’aval de Gérald Ford, Président des USA, et de son secrétaire d’État, Henry Kissinger - a causé 30 000 disparitions, érigé la torture systématique, bénéficiant des conseils de militaires français rôdés en Algérie, et volé à leurs parents plus de 500 bébés élevés dans des familles proches du pouvoir.
La force de Caryl Férey (photo ci-contre) est là : emmener le lecteur dans une histoire tendue, tenant le lecteur en haleine tout en rappelant régulièrement le contexte historique, politique, économique du moment dans un pays dont il donne précisément les caractéristiques géographiques. L’auteur ne résiste pas à nous rappeler la fameuse formule caractérisant bien l’Argentine : « Les Mexicains descendent des Aztèques, le Péruviens des Incas, les Colombiens des Mayas, les Argentins descendent du bateau. »
Après une ouverture glaçante où des sbires appliquent encore les mêmes méthodes que durant la dictature pour éliminer les opposants ou, tout simplement, les gêneurs, nous faisons connaissance avec Jana, jeune sculptrice mapuche. Elle est la « fille d’un peuple sur lequel on avait tiré à vue dans la pampa… les chrétiens n’avaient pas fait de quartier… huit cent mille morts. » Son meilleur ami est Miguel Michellini, un travesti qui se fait appeler Paula, « sœur de misère et d’espoir. »
Premier drame : le corps de Luz, un autre travesti, ami de Paula, est repêché dans le port. Entre alors en scène Rubén Calderón, détective privé, fils de Daniel, un poète victime de la dictature, comme sa petite sœur. En quelques pages, dans son Cahier triste, il nous plonge dans l’horreur de sa détention, en pleine Coupe du monde de football 1978, en… Argentine ! Sa mère, Elena, fait partie des Abuelas, ces femmes qui ont défié le pouvoir sur la Plaza Mayor, à Buenos Aires, femmes qu’on a appelé folles alors qu’elles réclamaient simplement la vérité sur le sort de leurs enfants et de leurs maris.
Jana et Rubén vont lier leur sort dans une quête folle parsemée de cadavres. C’est encore l’occasion de rappeler le sort des Mapuche : « tirés comme des lapins… livrés aux écoles religieuses… parqués, acculturés, appauvris, réduits au silence, mentant sur leur origine lors de rares recensements, oubliant par honte ou désœuvrement leur culture, les Mapuche avaient traversé le siècle comme des ombres. »
Inutile d’en dire davantage. Il faut se plonger dans la lecture de Mapuche, traverser tout le pays, se rendre dans les Andes, batailler dans les marécages du delta du Río de la Plata, passer en Uruguay, retraverser le pays, découvrir les riches vignobles établis en spoliant les propriétaires pour voir Jana devenir Kulan, la femme terrible de la tradition Mapuche.
Jean-Paul