Gabriel Tallent : My Absolute Darling
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My Absolute Darling par Gabriel Tallent.
Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.
Gallmeister (2018) 453 pages ; Totem (2019) 480 pages..
Prix America 2018
Pour ce premier roman qu’il a mis huit ans à écrire, un jeune auteur étatsunien, Gabriel Tallent (photo ci-contre), démontre une maîtrise et un savoir-faire hors du commun. My Absolute Darling plonge son lecteur dans une nature omniprésente, luxuriante, souvent étouffante et dangereuse, à l’image de Martin Alveston, le père de Turtle dont le vrai prénom, qu’elle n’aime pas, est Julia. C’est elle qu’il appelle « My Absolute Darling », mon amour absolu.
J’ai été surpris par les conditions de vie très frustes de ces deux personnages. Leur maison, isolée, a dû être de qualité mais tout est négligé, pas entretenu et bêtes et plantes envahissent doucement les lieux. Malgré tout, Turtle que son père appelle souvent Croquette, va au collège avec le bus scolaire. Anna, une prof veut l’aider mais son élève travaille peu à la maison, préférant nettoyer ces armes à feu dont la présence et l’utilisation est vite oppressante avec profusion de détails techniques. Pourtant, je note cette réflexion d’un camarade de Turtle : « Quand tu possèdes une arme tu as neuf fois plus de chances de te faire abattre par un membre de ta famille que par un assaillant. »
Cette ambiance malsaine prend aux tripes. Ce père haï et aimé en même temps par sa fille s’insurge contre les menaces qui mettent en péril la planète mais n’hésite pas à abuser son enfant, usant d’une violence inouïe pour l’asservir.
Malgré tout, Turtle s’affirme, existe, tente de s’émanciper, révèle un caractère entier, capable de penser, à propos d’une camarade qui recherche son amitié : « Je préfèrerais encore t’éventrer, du trou du cul à ta gorge de petite pouffiasse, plutôt que d’être ton amie. » C’est cru, direct et très émouvant, passionnant aussi car l’étau se resserre au fil des pages.
Un espoir existe avec ce grand-père qui vit près de Turtle et de son père, dans un mobil-home, mais le passé pèse très lourd, trop lourd. La haine est palpable, ajoutant une tension que l’océan et la nature ne soulagent pas vraiment.
Quand Turtle fuit son père et emmène le lecteur en pleine nature, l’écriture de Gabriel Tallent devient sublime. Elle suit deux garçons, Brett et Jacob qui l’attirent : « Les garçons parlent d’une façon qu’elle trouve à la fois inquiétante et excitante – fantastique, légèrement jubilatoire et loufoque. » J’ai vibré tout au long de cet épisode qui laisse beaucoup espérer car la rencontre avec la mère de Brett permet enfin de parler d’Helena, la maman de Julia Alveston, Turtle.
Jusqu’à quand Turtle peut pardonner à son père qui reconnaît qu’il déconne ? Violence, armes à feu, inceste, nature, océan, psychologie fouillée des personnages et surtout langage débordant de détails, avec My Absolute Darling, Gabriel Tallent - rencontré à la librairie La Parenthèse à Annonay (photos ci-dessus) - a réussi un vrai thriller, passionnant de bout en bout.
Jean-Paul