Emmanuel Carrère : Le Royaume

Le Royaume      par     Emmanuel Carrère.

P.O.L. (2014),  630 pages ; Folio (2016) 608 pages.

Prix littéraire du Monde, Meilleur livre de l’année (Lire),

 

Emmanuel Carrère touché par la grâce durant trois ans, venait de réaliser que le Credo était « une insulte au bon sens ». Il précise, au début de ce superbe livre qui ne doit pas rebuter par sa longueur : « Je suis un écrivain agnostique qui essaie de savoir ce que croient, au juste, des chrétiens aujourd’hui. »

 

 

Il faut attendre une centaine de pages pour entrer enfin dans le vif du sujet, l’histoire de Shaoul, devenu Paul. Cette première partie, intitulée Une crise (Paris 1990 – 1993) est pourtant indispensable pour comprendre la suite car l’auteur détaille toutes les étapes de son cheminement religieux, ses amitiés, sa foi déjà mise à l’épreuve et parle de cet écrivain, Philippe K. Dick, qui lui a inspiré un livre et auquel il fait référence à plusieurs reprises.

 

 

Nous voici enfin sur les traces de Paul, dans le port de Troas, en 50. Pour aller bien au-delà de ce que nous savons communément, l’auteur relit les Actes des apôtres de Luc. Il était médecin, lettré et macédonien, un grec attiré par la religion des Juifs qui « prêchaient par l’exemple. Ils étaient graves, industrieux, totalement exempts de frivolité. » Au fil des pages, l’auteur précise les choses. Jusqu’au bout, il aura à cœur de recadrer le vocabulaire, ce qui révèle quelques surprises.

 

 

Paul est un rabbin de Tarse, en Turquie aujourd’hui. Il est petit, râblé, chauve et voilà qu’il annonce la venue du Sauveur… Certains croient, d’autres s’offusquent mais d’autres encore posent des questions. Paul, malade, est soigné par Luc et ce dernier va le suivre, se comportant un peu comme un journaliste. Tout au long du livre, Emmanuel Carrère s’évertue à « distinguer le  certain du probable, le probable du possible, le possible du douteux. »

 

 

Tout cela donne un récit passionnant, plein de rebondissements avec un auteur très présent, ne cachant rien de ses doutes, de ses interrogations et des aléas de sa vie personnelle. Il passe les textes au peigne fin, note tous les noms, recoupe, compare. Exemples à l’appui, il prouve que, soit Luc recopie l’Évangile de Marc, soit il écrit ce qu’on lui a raconté, soit il invente et donne sa vision des choses. D’ailleurs, la quatrième partie lui est consacrée alors que Paul va être jugé à Rome. Luc est tout le contraire d’un sectaire. Il aime et admire Paul mais tient compte de ce que lui disent les autres personnes ayant connu Jésus.

 

 

Emmanuel Carrère (photo ci-contre) ne donne pas de solution. Il bute : « Mais dès qu’il faut en venir à l’Évangile, je reste coi. Parce qu’il y a trop d’imaginaire, trop de piété, trop de visages sans modèles dans la réalité. » Qu’importe. Il va au bout de son enquête, constate que les lois du Royaume ne sont jamais conformes à la morale comme dans le fils prodigue ou les ouvriers de la onzième heure.

 

L’épilogue permet de refaire le point sur ces textes et ceux qui sont censés les avoir écrits. Enfin, avec Constantin, en 312, la secte est devenue Église… mais il est bon de lire tout cela pour remettre en cause ces belles images inculquées sans aucun fondement historique.

 Jean-Paul

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