Régis Jauffret : PAPA
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PAPA par Régis Jauffret.
Seuil (2020), 199 pages.
Sélection Livre Inter 2020.

Immense surprise pour Régis Jauffret, le 19 septembre 2018, lorsqu'il aperçoit dans un documentaire sur la police de Vichy, son père menotté entre deux gestapistes sortant de l'immeuble marseillais où l'auteur a passé toute son enfance.
Après avoir zoomé maintes fois, il n'y a pas de doute, c'est bien lui et son visage exprime une grande terreur. Ces images auraient été tournées en 1943. L'écrivain va tenter d'analyser ce qui a pu se passer, en échafaudant tous les scénarios possibles. Son père Alfred, aurait-il fait de la délation, a-t-il été dénoncé, est-ce un film de propagande, donc une reconstitution, ces questions resteront sans réponse car, ni son père, ni sa mère n'ont jamais évoqué qu'il avait pu avoir affaire avec l'occupant.
Les interrogations auprès de la famille ou des voisins n'apporteront rien. Personne ne sait. Ce sera l'élément déclencheur qui amènera Régis Jauffret à écrire ce superbe roman dans lequel il nous conte la vie de celui-ci, en l'appelant PAPA, étant redevenu lui-même enfant.
Ce père Alfred, avait quatre frères. Il était marié à Madeleine et est décédé en 1987, l'année de ses 72 ans. Si Régis Jauffret a écrit ce roman maintenant, c'est aussi parce qu'il va bientôt atteindre l'âge auquel son père est mort et qu'avec le temps, c'est peut-être plus facile d'en parler aujourd'hui.
Alfred ayant eu une vie, une vraie vie, courte, furtive, car atteint d'un gros handicap de surdité, suite à une méningite, a subi d'inutiles interventions chirurgicales, sans réelle anesthésie, plusieurs cures de sommeil, est devenu bipolaire et a dû prendre de l'haldol, un neuroleptique, le reste de sa vie. Un pharmacologue dira d'ailleurs à son fils que « l'haldol, c'est un médicament qui empêche de penser. » Si ce dernier lui en a voulu, enfant : " En réalité je n'avais guère eu de père, presque pas. J'avais dû me contenter dans mon enfance d'un petit bout de papa..." puis : "D'ailleurs, Alfred en ce temps-là me servait-il à autre chose qu'à me faire honte.", maintenant, il en va autrement et il avoue : "Si je n'avais pas vu ces images tu serais resté dans les égouts de ma mémoire. --- , Je n'ai peut-être écrit tout au long de ma vie que le livre sans fin de tout ce que nous ne nous sommes jamais dit."

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman, le début étant un continuel va et vient entre le présent et le passé, mais ensuite, je n'ai plus pu m'en détacher et ai été absolument conquise par le talent de Régis Jauffret (photo ci-contre). Il réussit à ouvrir comme il le dit "une case de l'enfance qu'il n'avait jamais ouverte" et à sauver cet homme qu'était son père, seule solution pour lui pour continuer à vivre. Comme il le fait bien !
Ce mélange de fiction et de réalité, la finesse la justesse et la poésie avec laquelle il nous raconte ce manque d'amour, cette souffrance, cette frustration dont il a souffert et la manière dont il fait revivre ce père plus beau qu'il n'a été et tente tout pour l'excuser. Ce que j'ai vraiment trouvé sublime, c'est lorsqu'il va recréer un souvenir éblouissant d'une journée qui en fait n'a pas existé. Comment ne pas être bouleversé ensuite par cette phrase : "Malgré tout, ce bonheur inventé restera dans ma mémoire pour illuminer le visage de ce père tant désiré dont la vie m'a frustré."
Un formidable et sublime cri d'amour, tel est pour moi, ce bouleversant roman !
Quelle plus belle conclusion que ces paroles prononcées par l'auteur lors de La grande librairie : "Grâce à la littérature, je suis arrivé à réparer mon père en moi".
Ghislaine