Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut

Au revoir là-haut        par     Pierre Lemaitre.

Albin Michel (2013) 566 pages ; Le Livre de Poche (2015) 624 pages.

Prix Goncourt 2013. Prix France Télévisions Roman 2013.

 

 

Plongé instantanément dans les derniers jours de cette Première guerre mondiale qui a débuté il y a cent ans, le lecteur ressent tout de suite la fracture entre les soldats et les officiers. Les premiers entendent parler d’armistice et, on le comprend facilement, sont impatients de voir ce cauchemar se terminer, alors que ceux qui commandent veulent toujours en découdre afin de gagner encore du galon.

 

Albert Maillard, sur le front, ne veut pas faire partie des derniers morts : « Il savait que la guerre n’était rien d’autre qu’une immense loterie à balles réelles dans laquelle survivre 4 ans tenait fondamentalement du miracle. » Alors qu’il se retrouve en très fâcheuse posture, au fond d’un trou d’obus, il pense à Cécile et lui envoie un « Au revoir là-haut » pathétique.

 

 L’autre personnage que nous suivons jusqu’au bout de cette passionnante histoire, c’est Henri d’Aulnay-Pradelle. Arriviste sans scrupules et débordant d’ambition, il n’hésite pas à déclencher l’attaque de la côte 113, le 2 novembre 1918.

 

Le troisième protagoniste se nomme Édouard Péricourt, grand jeune homme, fils d’un riche bourgeois. Jusque-là, il a eu de la chance mais « il confirme l’adage selon lequel le véritable danger pour le militaire, ce n’est pas l’ennemi, mais la hiérarchie. »

 

Après nous avoir plongés au cœur des derniers jours de guerre, Pierre Lemaitre (photo ci-contre)  passe assez vite aux années qui vont suivre grâce aux aventures de ces trois héros permettant enfin d’en savoir plus sur cette période trop longtemps négligée. Qui peut imaginer qu’après l’Armistice signée en novembre 1918, nos soldats attendraient toujours leur démobilisation quatre mois plus tard ? « Voilà comment ça finit une guerre, mon pauvre Eugène, un immense dortoir de types épuisés qu’on n’est pas foutu de renvoyer chez eux proprement », écrit Albert.

 

Pourtant, le pire reste à venir car « Tout le nord et tout l’est du pays étaient constellés de tombes de fortune creusées rapidement parce que les morts ne pouvaient pas attendre, pourrissaient vite, sans compter les rats. » L’État veut regrouper les tombes dans de grands cimetières mais il faut des cercueils et l’on embauche des Chinois, des Sénégalais  pour déterrer les corps car ils travaillent pour une bouchée de pain. C’est le début d’une scandaleuse affaire que l’auteur nous fait vivre de l’intérieur : « Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d’avantages, même après. »

 

L’autre affaire concerne les monuments aux morts dont toutes les communes de France veulent se doter pour y inscrire les noms des victimes de cette guerre. Il y a aussi cette incompréhension envers ceux qui en sont revenus : « L’État refourguait aux anciens poilus de vieilles vareuses militaires reteintes à la hâte. »  Entre les démobilisés et ceux qui sont restés à l’arrière, l’incompréhension est totale : « Le pays tout entier était saisi d’une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants. »

 

1919. 1920. Pour faire plus de bénéfice, on fait fabriquer des cercueils trop petits, les corps sont mélangés, des soldats allemands sont inhumés sous une plaque française…

 

Pierre Lemaitre braque les projecteurs sur ces scandales d’après-guerre et, en plus, c’est passionnant à lire. Jusqu’à la dernière ligne, de rebondissement en rebondissement, le lecteur est tenu en haleine, l’épilogue et les précisions finales de l’auteur complètent parfaitement un Prix Goncourt amplement mérité.

Jean-Paul

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