Négar Djavadi : Désorientale

Désorientale         par      Négar Djavadi.

Liana Levi (2016) 349 pages ; Piccolo (2018) 350 pages

Prix du Style 2016.

 

Le récit commence devant un escalator que le père de Kimiâ refusait de prendre. Pour Darius Sadr, « ce genre de luxe se méritait, sinon c’était de l’abus, voire du vol… L’escalator, c’est pour eux. » Négar Djavadi (photo ci-contre) nous prévient : « ces pages ne seront pas linéaires… La mémoire sélectionne, élimine, exagère, minimise, glorifie, dénigre. Elle façonne sa propre version des événements, livre sa propre réalité. »

 

 

Nous voilà donc embarqués jusqu’aux rives de la mer Caspienne, à Mazandaran où débute cette saga familiale permettant de couvrir l’histoire de l’Iran, au XXe siècle. Petit à petit, nous faisons connaissance avec la famille de Kimiâ alors que celle-ci se morfond dans la salle d’attente de l’hôpital Cochin, attendant la dernière étape d’une PMA (procréation médicalement assistée). Ainsi, les époques vont se croiser, s’entrechoquer, se mélanger parfois dans ce roman dense, très bien écrit et dont la propre vie de l’auteure sert de canevas.

 

 

Nour est la grand-mère paternelle de Kimiâ. Elle épouse Mirza-Ali en 1911. Tous les deux, ils font partie de la bourgeoisie iranienne. Sa grand-mère maternelle, Emma Aslanian, est d’origine arménienne. Avec sa famille, elle a fui la Turquie avant le génocide arménien, en 1915. Darius et Sara Sadr sont les parents de Kimiâ et ont eu deux filles avant elle : Leïli et Mina. Enfin, il y a les oncles numérotés de 1 à 7, les frères de Darius, numéro quatre de la fratrie.

 

 

Au fil du roman, les chocs se succèdent. Darius est un opposant politique heureux de voir la chute du Shah et l’avènement de la démocratie mais cela ne dure pas car la France a abrité un certain Khomeiny, ayatollah, qui revient au pays pour en faire une république islamique : « Depuis que le régime islamique gouvernait ce pays, tous les noms des rues et des quartiers avaient été changés, ayatolahisés, brouillant les repères et les mémoires. »

 

 

Heureusement, Saddeq, Oncle Numéro 2 raconte l’histoire de la famille à Kimiâ et à ses sœurs. Sara, leur mère, voue une passion immodérée pour la France alors que Darius est recherché par la Savak, la police politique du Shah.Je partage aussi bien les catastrophes que les moments de bonheur du quotidien d’une famille qui avait tout pour bien vivre mais frappée par le malheur à plusieurs reprises.

 

 

Avant qu’il ne soit trop tard, Sara a pris ses enfants et elle est partie. En route pour Tabriz, à 500 km : « Dans ces rues, des femmes ont été lapidées, des hommes ont été pendus sur la place publique… Rien n’a changé. Comment tant d’espoir a-t-il pu être anéanti ?... On nous a volé notre pays. »

 

 

À pied ou à cheval, dans les montagnes enneigées du Kurdistan, Sara et ses filles passent la frontière Iran-Turquie et, après bien des péripéties, arrivent à Paris, à 5 276 km de Téhéran. En Europe de l’ouest, Kimiâ peut enfin vivre son homosexualité mais rien n’est simple : « Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. »

 

 

Désorientale, quel titre superbement choisi ! C’est un roman passionnant, déroutant parfois, extrêmement dense, mais tellement émouvant et utile pour remettre en place ces événements qui ont marqué notre monde et qui continuent d’être d’actualité en Iran et ailleurs.

Jean-Paul

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Thème Magazine -  Hébergé par Overblog