Annie Ernaux : L'événement

L’Événement      par      Annie Ernaux.

Gallimard (2000) 128 pages ;  Folio (2001). 132 pages.

 

 

Ce livre d’un réalisme poignant commence à l’hôpital Lariboisière où l’auteure qui s’exprime toujours à la première personne du singulier, se rend pour connaître le résultat d’un dépistage du Sida. Le sourire de la docteure qui l’accueille, la rassure aussitôt mais ce qu’elle vient de vivre lui remet en mémoire « l’attente du verdict du docteur N., en 1963, dans la même horreur et la même incrédulité. Ma vie se situe donc entre la méthode Ogino et le préservatif à un franc dans les distributeurs. »

 

 

Commence alors le récit de son avortement déjà évoqué dans Les Armoires vides : les règles qui n’arrivent pas, le docteur N. qui lui annonce qu’elle est enceinte et sa décision de ne pas garder l’enfant ce dont elle informe le géniteur. Elle rappelle la loi en vigueur à l’époque, cette clandestinité obligatoire et son désir immense d’écrire ce qu’elle a vécu : « ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social. »

 

 

Elle cherche, se renseigne, parle de la chanson de Sœur Sourire et de sa fin tragique, de ces médecins qui ont trop peur de se mouiller. Elle continue ses études mais « avec mon corps embourbé dans la nausée », elle n’arrive plus à travailler. À chaque étape, elle note ses commentaires entre parenthèses, disant ses difficultés à écrire, à raconter cela.

 

 

 

Malgré tout, avec son habituelle précision, elle décrit tout son cheminement, le voyage de Rouen à Paris, le mercredi 15 janvier, en train, chez Mme P.-R., la faiseuse d’anges, comme on nommait ces femmes obligées d’accomplir leur tâche dans des conditions précaires : « Il y eut une douleur atroce. Elle disait : « arrêtez de crier, mon petit » et « il faut bien que je fasse mon travail »L’avorteuse la raccompagne jusqu’à la gare la plus proche, sollicitude ou précaution ?

 

 

Annie Ernaux (photo ci-dessus) n’occulte rien et fait partager ses doutes, ses souffrances, ses douleurs insupportables et l’expulsion du fœtus : « la vie et la mort en même temps. Une scène de sacrifice » Un amie l’aide heureusement mais il faut partir à l’hôpital : « J’avais un sexe exhibé, écartelé, un ventre raclé, ouvert à l’extérieur. Un corps semblable à celui de ma mère. »

 

 

Finalement fière d’être allée jusqu’au bout, elle se repose à Y. sans rien dire à ses parents puis reprend à Rouen son mémoire sur La femme dans le surréalisme : « J’étais ivre d’une intelligence sans mots. » Un peu plus tard, elle entre dans une église « pour dire à un prêtre que j’avais avorté. Je me suis rendu compte de mon erreur. Je me sentais dans la lumière et pour lui j’étais dans le crime. En sortant, j’ai su que le temps de la religion était fini pour moi. »

 

 

Enfin, elle conclut L’Événement en écrivant : « les choses me sont arrivées pour que j’en rende compte. Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. »

 

Jean-Paul

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