Cătălin Mihuleac : Les Oxenberg & les Bernstein

Les Oxenberg & les Bernstein      par   Cătălin Mihuleac.

Noir sur Blanc (2020) 301 pages.

Traduit du roumain par Marily Le Nir.

 

Le roman débute en Roumanie, le 29 juin 2001, à Iași, avec un coup de fil que reçoit Sânziana Stipiuc, 33 ans. Son patron lui demande d'aller accueillir une mère et son fils, Dora et Ben Bernstein, deux Juifs américains, à leur hôtel, pour les conduire au musée, puis au restaurant. Elle devra s'en occuper pendant deux jours, car " Ils ont l'intention de démarrer une affaire chez nous." Après discussion, Ben fait à Suzy, diminutif donné à Sânziana par Dora, une proposition de travail à Washington DC, dans l'entreprise Bernstein Vintage Ltd. dont Dora et Joe son mari sont les patrons. C'est Suzy elle-même, la narratrice.

 

Quelques 60 ans plus tôt, toujours à Iași, la famille Oxenberg, malgré un antisémitisme de plus en plus présent, est en train de faire sa place dans la bonne société de la ville. Jacques, le père, est devenu le meilleur obstétricien de la région et sa femme Roza  veille à élever et éduquer leurs deux enfants Lev et Golda, la littérature restant pour elle un hobby. Il vient d'offrir une voiture à son épouse et ils mènent une vie très agréable et confortable dans leur jolie maison.

 

L'écrivain Cătălin Mihuleac, né lui-même à Iași, fait alterner la vie de ces deux familles. Si les Bernstein ont fait venir Suzy en Amérique, c'est pour exporter des fringues Vintage en Roumanie. Sa mission consiste à choisir les vêtements qui sont susceptibles de plaire aux Roumains. Bientôt, Ben demande la main de Suzy et celle-ci apprend peu après que la famille Bernstein a des racines roumaines.

 

Ce n'est qu'à la fin du roman que les deux histoires se rejoindront.

 

L'auteur a su magnifiquement mener cette œuvre de fiction basée sur un fait historique plus qu'horrible. Il s'agit du pogrom de Iași en Roumanie qui a eu lieu en 27 juin 1941.

 

Ce grand tabou de l’histoire roumaine contemporaine est un crime perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale par le régime fasciste roumain dans la ville de Iași contre sa population juive. Cela s'est soldé, selon les autorités roumaines, par la mort d'un dixième de la population totale de la ville à l'époque, soit au moins 13 226 victimes sur les 34 662 Juifs iassiotes recensés.

 

Cătălin Mihuleac (photo ci-contre) raconte avec un humour très caustique, très particulier, fait d'autodérision,  les années 1930 qui ont précédé le pogrom, avec la montée du nazisme et de l'antisémistisme. Le contraste est d'autant plus saisissant avec cette famille Oxenberg qui aime la vie et fait tout pour s'intégrer dans la vie de la bonne société. Ses membres ne croient pas en la méchanceté de leurs concitoyens. Ils sont suffisamment naïfs pour ne pas voir les signes frappants de cette peste brune qui va les broyer.

 

L’auteur raconte également magnifiquement, de façon tellement satirique mais tellement vraie, la manière dont ces Juifs américains, les Oxenberg ont su profiter de la société américaine qui, en ces années 1990, donne sans compter aux œuvres caritatives qui ont besoin d'argent pour leurs programmes sociaux, pour les alcooliques, les homeless, les anciens détenus, les victimes de guerre... et ces organisations, depuis 2000, collaborent avec la société Bernstein Vintage Ltd qui elle, fait de fructueux bénéfices en exploitant le goût immodéré de gens friands de vêtements Vintage ou Second hand. Leurs clients sont en Amérique centrale, en Afrique, en Asie, en Europe de l'Ouest, de l'Est...

 

En lisant ce livre de Cătălin Mihuleac, je n'ai pu m'empêcher de penser aux écrits de Egar Hilsenrath (Fuck America, Orgasme à Moscou, Le Nazi et le Barbier qui, d'une manière un peu semblable, par la satire, parfois le grotesque a tenté d'écrire contre l'oubli.

Les Oxenberg & les Bernstein est  une fiction d'un réalisme cruel qui m'a fait découvrir un épisode de la Shoah en Roumanie que, à ma grande honte, je ne connaissais pas. Je me demande encore comment des humains ont pu participer à de telles exactions et continuer à vivre.

Dans le roman, l'auteur raconte avec une certaine jouissance comment Suzy vend ces vêtements, ces objets Vintage et d'occasion aux habitants qui ont souvent été acteurs ou spectateurs de cette tuerie et avaient pillé les maisons, récupérant les vêtements directement sur les victimes.

 

Fabuleux bouquin d'une sensibilité extrême où l'ironie et l'humour permettent de décrire l'indicible. La poésie est aussi présente, il suffit de revoir cette gamine Golda, "la princesse des petits canards en caoutchouc", sans oublier ce coup de théâtre final qui apporte une lueur d'espoir.

 

Un grand merci à Masse critique de Babelio et aux éditions Noir sur blanc pour la découverte de ce roman inoubliable qui me hantera longtemps !

Ghislaine

 

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D
Ta chronique donne envie de le découvrir, en plus le sujet et le pays m'interpellent...
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A
Bonjour Ghislaine, je l'avais noté pour son originalité après avoir lu cette chronique (Le nazi et le barbier est aussi en attente).
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G
Bonjour Azeline, Ce sont en effet deux romans qui m'ont fortement marquée et que je recommande chaleureusement
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