Julie Otsuka : Certaines n'avaient jamais vu la mer
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Certaines n’avaient jamais vu la mer par Julie Otsuka.
Titre original : The Buddha in the Attic, (traduit de l’anglais par Carine Chichereau)
Éditions Phébus (2012) 144 pages; 10/18 (2013) 144 pages.
Prix Femina étranger 2012.
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Julie Otsuka (photo ci-dessous), pour son deuxième roman, nous livre un formidable concert polyphonique où se mêlent des visages, des voix, bref, les vies de toutes ces Japonaises qui ont quitté le pays avec l’espoir d’une vie meilleure.
Cela s’est passé au début du siècle dernier. Ces filles étaient presque toutes vierges. La plus jeune avait à peine 12 ans et la plus âgée, 37, mais elles ne voulaient pas retourner travailler dans les rizières. Leurs sœurs aînées, plus belles avaient été vendues comme geishas. Elles rêvaient d’un fiancé vivant là-bas, aux États-Unis, un homme qu’elles ne connaissaient qu’en photo et grâce à quelques lettres. Pour elles, « mieux valait épouser un inconnu en Amérique que de vieillir auprès d’un fermier du village. » Leur mère marchait trois pas derrière leur père, chargée de paquets alors que lui ne portait rien. Il y en a même qui ont laissé sur place un enfant…
La traversée jusqu’au port de San Francisco, est longue mais l’arrivée, « La première nuit », est un chapitre impressionnant. Tout y est. Comme tout au long du livre, l’auteure révèle une maîtrise extraordinaire pour nous faire suivre cette terrible expérience : « Ils nous ont prises… », pour conclure : « Ils nous ont prises en vitesse, de façon répétée, toute la nuit durant, et au matin, quand nous nous sommes réveillées, nous leur appartenions. »
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Elles espéraient épouser des banquiers et les voilà mariées à des ouvriers agricoles qui les emmènent travailler dur dans les champs. Elles apprennent leur premier mot d’anglais : « water », pour ne pas mourir de soif. Surtout, elles appartiennent à la catégorie des invisibles. Si elles avaient su… Pour rassurer leur mère, elles écrivent que tout va bien mais elles triment, exploitées jusqu’à l’épuisement. Elles ont des enfants qui vont à l’école, apprennent l’anglais, oublient le japonais, changent leur prénom et deviennent Américains.
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Tout cela n’est rien encore à côté de ce qui va survenir avec la seconde guerre mondiale et après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor. Déjà mal vus, les Asiatiques d’origine japonaise sont considérés comme des traîtres. Ils commencent à effacer leurs noms des boîtes aux lettres, des hommes disparaissent, leurs comptes sont gelés par les banques, les laitiers ne livrent plus. Tout ce qui rappelle le Japon doit disparaître. En ville, leurs fils portent un badge où il est inscrit : « Je suis Chinois. » Tous se préparent à un départ précipité. Pourtant, ils participent à l’effort de guerre en fournissant fruits et légumes pour les soldats.
Dès qu’ils quittent leurs maisons, celles-ci sont aussitôt pillées et dévastées. On dit qu’ils sont dans les montagnes, dans les déserts du Nevada, de l’Utah, de l’Idaho, du Wyoming… Ainsi s’achève cette histoire incroyable remarquablement racontée, comme un chant choral, permettant de rappeler le souvenir de toutes ces femmes dont la vie a été bouleversée.
Jean-Paul