Alice Zeniter : L'art de perdre

L’art de perdre      par    Alice Zeniter.

Flammarion (2017), 507 pages ; J'ai Lu (2019) 608 pages.

Prix Goncourt des Lycéens 2017.

 

 

Naïma ne peut pas oublier d’où vient sa famille. Elle est née en Normandie mais Hamid, son père qui a épousé Clarisse, ne veut pas parler du pays d’où il vient, pays que son grand-père, Ali, a quitté, en 1962, avec Yema, sa seconde épouse et leurs trois enfants. Réduite à chercher à connaître l’Algérie sur Wikipédia, elle veut en savoir plus.

 

 

Pour son quatrième roman, Alice Zeniter (photo ci-contre), avec un talent qui ne cesse de s’affirmer, plonge en pleine Kabylie, en 1930, et j’ai été avalé par cette lecture qui sort de l’oubli le sort des harkis, un terme trop flou qui englobe la famille, les enfants et la descendance. Justesse, précision, détails de la vie quotidienne, souffrances physiques aussi bien que psychologiques, L’art de perdre est un vrai grand roman, très bien écrit.

 

 

Issu de l’extrême pauvreté d’une famille, Ali s’est marié avec une cousine et s’est engagé dans l’armée française en 1940. Il participe à la campagne d’Italie dont la fameuse bataille du Monte Cassino. Au retour, le hasard lui permet de se lancer dans le pressage de l’huile avec ses deux frères et d’acquérir une certaine aisance. Mais, en Kabylie, on ne compte pas : « Les roumis ne comprennent pas que compter, c’est limiter le futur, c’est cracher au visage de Dieu. »

 

 

L’auteure fait vivre le quotidien de paysans qui entendent parler d’indépendance sans se rendre compte de ce que cela implique. Peu à peu, la violence engendre la violence et une évidence s’impose : « Rien n’est sûr tant qu’on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu’on est mort, le récit est figé et c’est celui qui a tué qui décide. »

 

 

Très attaché à ses décorations de la Seconde guerre mondiale, Ali garde des liens avec l’armée française et les menaces de mort le poussent à partir, même si le FLN (Front de Libération Nationale) s’est engagé à ne pas maltraiter les harkis... La harka de la caserne est désarmée quand l’armée quitte la ville. Les supplétifs sont désavoués après des années d’obéissance : « S’ils essaient de monter dans les camions marchez-leur sur les mains. »

 

Il faut ensuite absolument revivre le parcours de ces déracinés dans notre pays. Enfermés dans des camps comme l’ont été avant eux les Républicains espagnols, les Juifs, les Tziganes raflés par Vichy. Ils sont à Rivesaltes puis à Jouques, dans la boue, le froid. L’instituteur renonce à apprendre à lire et à écrire aux enfants. Il les fait jouer, sûrement désemparé devant l’énorme tâche qui lui incombe et une dramatique absence de moyens.

 

 

Enfin, c’est Flers et ses barres HLM grises. Alice Zeniter fournit alors d’excellentes pages sur Hamid qui refuse de parler de ses cauchemars, sur la France et l’Algérie, permettant de comprendre ce qui s’est passé et ce que nous vivons encore : « … il a hérité d’un père insaisissable qu’il voudrait défendre mais qui se refuse à être défendu. » Surtout ne pas dire à d’autres Algériens que sa famille est arrivée en France en 1962, date de l’indépendance !

 

 

Enfin, ce livre est tellement riche d’enseignements et de vie qu’il est impossible d’en dégager tous les points forts comme dans cette dernière partie qui voit Naïma découvrir l’Algérie et éprouver ce déchirement bien compréhensible : « Elle ne veut plus partir d’ici. Elle veut absolument rentrer chez elle. »

Jean-Paul

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