Nicolas Mathieu : Leurs enfants après eux

Leurs enfants après eux        par     Nicolas Mathieu.

Actes Sud (2018), 425 pages ; Babel (2020) 560 pages.

Prix Goncourt 2018.

 

Quelle aventure ! Nicolas Mathieu (photo ci-contre) m’a embarqué dans cette vallée de l’est de la France qui ressemble à cette Fensch vallée que chante si bien Bernard Lavilliers, où « le nom des patelins se termine par …ange ». Prenant le parti de faire vivre quatre étés à son lecteur, à Heillange, il s’attache à quelques personnages dont Anthony et quelques autres, Leurs enfants après eux.

 

 

Le premier été, en 1992, est le plus long. La durée des suivants ira se réduisant car ces enfants ont grandi et sont sortis de l’adolescence. Plongé dans cette lecture, il m’a été difficile d’en sortir car suspense et angoisse planent à chaque page que j’étais impatient de tourner.

 

 

Anthony, 14 ans, élève de troisième, traîne avec son cousin qui paraît nettement plus âgé et ils fument déjà beaucoup, recherchent du shit, trafiquent pour en avoir mais sont surtout obsédés par les filles. Ils empruntent un canoé pour aller jusqu’à la plage des culs-nus, sans succès. Puis, sur son BMX, « Dans cette ville moitié morte, étrangement branlée, construite dans une côte et sous un pont, Anthony filait tout schuss, pris de frissons, jeune à en crever. »

 

 

 

Les portraits sont tracés sans concession, avec une précision qui fascine comme lorsque l’auteur décrit le moindre lieu, le moindre paysage. J’ai l’impression qu’il passe au scanner ce qu’il veut montrer.

 

Sans dévoiler les rebondissements de l’histoire, je dois parler de Hacine, petit caïd de la ZUP : « Dans le quartier, on ne draguait pas, parce qu’une meuf était fatalement la sœur ou la fille de quelqu’un. » De coups durs en accalmies, ce fils de Malek Bouali venu du Maroc travailler dur pendant quarante ans à l’usine, va croiser le chemin d’Anthony et de son père.

 

 

Steph et Clem, filles de familles bourgeoises, tentent régulièrement de se frotter aux garçons des quartiers ouvriers : « Clem était rigolote, avec ses airs bourges, son côté racaille, son audace et ses insolences. N’empêche qu’elle était en terminale avec seize de moyenne. Steph n’en était pas là. »

 

 

Avec ces deux filles, il y a leurs parents dont le père de Steph qui a des ambitions municipales alors que celui d’Anthony se débat avec un démon : l’alcool. Hélène Casati, mère d’Anthony, supporte très mal la transformation de son petit garçon en ado.

 

 

 

L’été 1994 est présenté, comme les trois autres avec un titre de chanson (You Could Be Mine). Deux années ont passé mais il fait toujours très chaud et Pierre Chaussoy, le père de Steph affirme : « Les lubies productivistes, n’avaient plus lieu d’être. L’heure était aux loisirs. C’était propre et rémunérateur, tout le monde y trouvait son compte. »

 

 

 

Puis c’est le 14 Juillet 1996 où j’ai retrouvé tout ce beau monde qui a bien évolué avant de plonger, deux ans plus tard en pleine folie de la Coupe du monde : « Comme cinquante millions d’autres connards, Anthony s’était pris au jeu, son malheur temporairement suspendu, son désir fondu dans la grande aspiration nationale. »

 

 

Moi aussi, j’ai cru à la grande réconciliation nationale mais ce sont les sceptiques qui avaient raison, hélas.

 

 

Malgré tous les changements qui s’amorcent après la désindustrialisation, Nicolas Mathieu ouvre une porte sur l’avenir tout en soulignant le poids de la drogue, de l’alcool. Prix Goncourt mérité, son roman est palpitant de bout en bout et j’aurais aimé qu’il se prolonge.

 

Jean-Paul

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