Jean-Christophe Rufin : Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla

Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla      par   Jean-Christophe Rufin (1).

nrf Gallimard (2019) 373 pages ; Folio (2020) 384 pages.

 

Une fois de plus, lire Jean-Christophe Rufin a été un régal ! Avec Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla, il a réussi à écrire un conte extraordinaire et profondément réaliste.

 

À partir du voyage de quatre jeunes gens en URSS, en 1958, à bord d’une Marly de la marque Simca (photo ci-dessous), voiture luxueuse pour l’époque, l’auteur qui laisse s’exprimer un narrateur lui ressemblant beaucoup, présente d’emblée Edgar. Énergique et séducteur, il vient de Chaumont. Né de père inconnu, élevé par une mère travaillant dur sur les marchés, Edgar était garçon de courses chez un notaire.

 

Dans un village d’Ukraine, un attroupement au pied d’un arbre stoppe leur périple. Malgré l’hostilité de leur guide touristique imposé, un commissaire du peuple, ils assistent à un spectacle étonnant : une jeune fille est nue en haut d’un arbre ! Lorsqu’elle descend, elle croise le regard d’Edgar qui n’aura qu’un seul but au retour en France : aller chercher celle-ci, prénommée Ludmilla.

 

L’histoire, j’en conviens, débute de façon spectaculaire et, tout au long de son récit, le narrateur saura bien expliquer les faits les plus curieux, les plus étonnants. C’est dont l’année suivante, en 1959, qu’a lieu le premier mariage afin de permettre à cette jeune ukrainienne qui faisait partie des koulaks, la catégorie sociale la plus méprisée de la population soviétique, de quitter son pays pour venir vivre en France.

 

 

L’histoire est bien lancée et ne va pas manquer de rebondissements car les deux amants doivent d’abord apprendre à se connaître et affronter beaucoup d’obstacles.

 

 

Présentant son roman comme une enquête réalisée par un homme qui vit avec Ingrid, la fille d’Edgar et Ludmilla, le narrateur a donc connu ses deux héros alors qu’ils étaient très âgés. Il les a interrogés, a effectué de nombreuses recherches, visité les lieux où ils ont vécu afin de pouvoir écrire cette histoire extraordinaire.

 

 

Edgar tente de gagner de l’argent, monte des affaires, échoue, repart, prend d’énormes risques, connaît un succès foudroyant et une dégringolade spectaculaire avant de refaire surface. Au travers de ces expériences heureuses ou malheureuses, j’ai traversé toute une époque, celle nommée Les Trente Glorieuses (1946 – 1975), j’ai croisé des gens célèbres et ressenti toute l’inanité des gloires factices, politiques, médiatiques ou financières.

 

De son côté, Ludmilla affirme par hasard ses talents de chanteuse, s’impose, prend sa chance et entame une carrière lyrique. Dans ce monde d’agents, de chargés de communication, de rôles attribués au dernier moment, il faut avoir des relations. Elle n’hésite pas à se former, à travailler dur et, si elle finit par réussir, la voilà devenue une diva, avec tous les défauts inhérents à ce statut complètement artificiel. À cause de sa carrière à l’opéra, de ses tournées, elle se coupe de sa fille, Ingrid, qui préfère son père… quand il est là.

 

Je passe sous silence les circonstances des mariages et des divorces successifs pour ne rien divulgâcher mais je reste admiratif devant le talent de l’auteur rendant cette histoire crédible et, au final, passionnante. Tout cela est empreint d’une philosophie de la vie pleine de justesse malgré le caractère exceptionnel des expériences vécues par Edgar et Ludmilla.

 

Au final, j’ai beaucoup apprécié l’invitation de ces gamins venus en car du village ukrainien de Ludmilla et son attitude envers eux alors que l’âge a fait son œuvre sur elle et sur Edgar. Comme l’indique Jean-Christophe Rufin dans la postface, il s’est inspiré en partie de sa propre vie.

 

Malgré moi, dès qu’il y avait mariage, je me demandais quel serait le motif du prochain divorce puis comment il sera possible que les deux héros se remarient… Alors, même si certains épisodes paraissent incroyables, voire loufoques, ce qu’il décrit est parfaitement décrypté.

Jean-Paul

 

 

Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla      par   Jean-Christophe Rufin (1).

nrf Gallimard (2019) 373 pages ; Folio (2020) 384 pages.

 

 

 

C'est en 1958 que nous faisons connaissance avec Edgar. Il est l'un des quatre voyageurs qui, à bord d'une Marly couleur crème et rouge, tentent de se rendre à Moscou, depuis Paris. Un cinquième passager, "un guide touristique", qu'ils s'étaient engagés à transporter, les rejoint à la frontière.

 

Arrivés dans un village d'Ukraine où une agitation inhabituelle règne, le guide sent un danger et fait stopper la voiture et ils descendent. Sur la place centrale, un chêne, et à dix mètres du sol, sur une haute branche, est assise une femme complètement nue sur laquelle la foule a les yeux fixés. "Une voix d'homme retentit parmi les assistants : - Ludmilla !" Quand enfin, la fille est ramenée à terre, son regard se fiche sur Edgar, regard auquel il répond "en offrant ses yeux grands ouverts. Il les écarquillait comme on écarte les bras, pour qu'elle vienne s'y blottir, s'y réfugier."

 

C'est un Edgar bouleversé qui doit abandonner la jeune fille à la populace et rentrer à Paris. Il n'a plus qu'une idée en tête : retrouver et y ramener Ludmilla. Il repart donc en 1959 avec l'Orient-express. Après maintes difficultés, ils obtiendront l'autorisation de se marier, à Kiev, lors d'une brève cérémonie qui " se déroula dans une salle aux murs jaunâtres, mal éclairée par une fenêtre dont les carreaux étaient en verre dépoli, comme s'il eut fallu cacher aux regards indiscrets une scène impudique."

 

Voilà comment advint la rencontre et le premier mariage d'Edgar et Ludmilla ! Notre jeune couple s'installe à Paris. La barrière de la langue et les difficultés à communiquer liées à l'époque vont bientôt construire un mur de silence qui les conduira à se séparer. Il y aura ensuite d'autres mariages et d'autres divorces, six en tout, étalés sur un demi-siècle. Ils auront une fille Ingrid en 1975 qui deviendra en 2000, la femme du narrateur qui, à ce titre justement fera ainsi la connaissance des parents. Edgar, aventurier et charmeur se débrouille dans le milieu des affaires et Ludmilla parvient à faire une belle carrière de cantatrice.  Ils connaitront des hauts et des bas, tantôt riches, tantôt ruinés.

 

C'est à la fois un roman sur l'intimité d'un couple, une saga amoureuse mouvementée qui démarre en Russie pour  aller en Amérique puis du Maroc jusqu'à l'Afrique du Sud et une fresque sociale couvrant les quatre dernières décennies du XXe siècle.

 

Le voyage en URSS en 1958-59, au début du roman, très rocambolesque, décrit à merveille, d'abord  les difficultés pour se rendre là-bas, puis la prise en charge, et une fois sur place, la difficulté pour ne pas dire l'impossibilité de se déplacer librement et enfin la vie dans les villages.

 

Jean-Christophe Rufin (photo ci-dessus), en nous racontant la vie de ce couple, montre bien les difficultés et les contraintes que peuvent vivre deux êtres qui s'aiment, sur la durée. Les personnes changent, la société change et il faut beaucoup d'énergie, parfois de renoncement pour résister.

 

Dans ce roman, l'auteur flirte avec l'autofiction puisqu'il a connu plusieurs divorces et autant de mariages avec la même femme.

 

J'apprécie beaucoup cet auteur, mais je dois avouer que pour ce dernier roman, j'ai connu un peu de lassitude au cours de sa lecture. Cette succession de mariages et de divorces, notamment à partir du troisième divorce me faisant un peu penser à des caprices d'enfants gâtés, à des caprices de stars.

 

Le début et la fin resteront pour moi les meilleurs moments de ce périple.

Ghislaine

 

1. Autres livres de Jean-Christophe Rufin à retrouver sur le blog :

- Rouge Brésil

- Le Grand Coeur

- Le collier rouge

- Immortelle randonnée

- Check-point

- Le tour du monde du roi Zibeline

- Le Suspendu de Conakry

- Les trois femmes du Consul

- Le Flambeur de la Caspienne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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