Négar Djavadi : Arène
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Arène par Négar Djavadi.
Liana Levi (2020) 425 pages
En suivant les pas de Benjamin Grossman, responsable de la branche France de BeCurrent, concurrent de Netflix, j’ai été aspiré dans l’Arène. Cette Arène, c’est Paris où tout se joue, où toutes les tensions, les frustrations, les injustices vont aller jusqu’à l’explosion, causant beaucoup de dégâts.
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Négar Djavadi, déjà bien appréciée dans Désorientale, rencontrée aux Correspondances de Manosque 2020, s’est lancée dans une fresque impressionnante, passionnante de bout en bout, avec la bagatelle de cent quarante-huit personnages ayant chacun son histoire, le tout en neuf grandes parties, plus des mouvements musicaux. C’est bien construit et cela m’a tenu en haleine jusqu’au bout, un peu comme dans un polar.
Dans ces quartiers de Paris, Xe, XIe, XIXe, XXe arrondissements, se concentrent 70 % de cités, 43 % de foyers non imposables, 25 % de la population sous le seuil de pauvreté. Aucune communauté n’est épargnée : Blancs, Noirs, Juifs, Arabes, Chinois, Indiens, Sri-Lankais, Caribéens, tous ont leur misère à gérer. Alors, lorsque des bandes de gosses de 16-17 ans commencent à régler leurs comptes sur fond d’un trafic de drogue exponentiel, cela ne peut qu’aboutir au pire.
Négar Djavadi (photo ci-contre) dresse le tableau de ces existences prises dans un tourbillon urbain démentiel. La vie est déjà difficile mais cela ne serait pas si terrible si quelques individus ne se chargeaient pas d’exciter ces jeunes, de faire monter la haine, d’attiser les ressentiments sur fond de racisme, d’islamophobie, espérant tirer les marrons du feu.
Pour cela, il y a les fameux réseaux dits sociaux qui permettent de diffuser n’importe quoi, de bidouiller des vérités bien trafiquées afin d’entraîner les crédulités vers la haine et la violence qui en découle. Avec ça, les chaînes d’info continue se chargent de rameuter ceux qui ne sont pas encore touchés, invitant sur leurs plateaux de sinistres agitateurs tentant de se faire passer pour des spécialistes.
Dans son travail, Benjamin Grossman se charge de faire tourner des séries qui cartonnent et continuent un peu plus chaque jour de ronger les cerveaux. Lui qui est originaire de ces quartiers faisant bien partie pourtant de la Ville-lumière, se rend chez Cathie, sa mère, qui vit seule et dont le travail consiste à restaurer de vieux films aux pellicules abîmées.
D’ailleurs, les références au cinéma sont nombreuses comme les noms de médicaments, de drogues permettant à ces fameux décideurs de s’afficher toujours au meilleur de leur forme…
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Au fil de ma lecture, j’ai rencontré la misère des réfugiés qui dorment sur les trottoirs, sont délogés sans ménagement par la police, cette fameuse police qui va se trouver au cœur d’une polémique savamment orchestrée pour que tout dégénère.
Au passage, j’ai bien apprécié les précisions historiques sur Paris comme sur le fameux Gibet de Montfaucon, le tournage du film d’Orson Welles (Le Procès) ou pour savoir qui était le Colonel Fabien. De temps à autre, l’autrice égratigne l’équipe municipale actuelle, lui reproche de ne pas se rendre dans ces quartiers. Comme les élections approchent, on fait un bout de chemin avec une candidate qui rêve d’être maire. En pleine campagne électorale, elle tente d’exploiter le drame qui est le nœud de l’histoire.
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Dans ces quartiers Est de Paris, autour des stations Belleville, Ménilmontant, Jaurès, c’est la terre promise des damnés de la Terre, le cœur raté du cosmopolitisme comme l’autrice le démontre bien. C’est là qu’une vidéo devenue virale déclenche un cataclysme, brise la vie d’une jeune flic pourtant respectueuse et tentant d’être humaine dans l’exercice difficile de son métier.
J’ai plongé dans l’Arène de Négar Djavadi et j’ai été aspiré jusqu’au bout, captivé par le sort de chacun des protagonistes mais horrifié par ce que deviennent nos villes où la pandémie décuple encore les difficultés quotidiennes de celles et de ceux qui tentent d’y vivre.
Jean-Paul