Dima Abdallah : Mauvaises herbes
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Mauvaises herbes par Dima Abdallah.
Sabine Wespieser (2020) 233 pages.
Prix envoyé par La Poste 2020.
Prix France-Liban 2020 de l'Adelf (Association des écrivains de langue française).
Ces Mauvaises herbes poussent n’importe où, aux endroits les plus improbables et peuvent donner ensuite, malgré tout, de belles plantes. Pour la principale narratrice de ce premier roman de Dima Abdallah, ce qui ressort d’emblée, c’est le terrible traumatisme de l’enfance, dans Beyrouth, en 1983, alors que la guerre civile fait des ravages.
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Là, il faut choisir sa confession, choisir son camp, sa faction et la petite fille de six ans que son père, son géant, va chercher à l’école, refuse de choisir. Elle prie son Dieu à elle, pas celui des autres qu’elle n’aime pas trop. Elle s’accroche à l’index ou à l’auriculaire de ce père qu’elle admire. Elle est solitaire, parle peu, se fait punir à l’école et elle sent que les maîtresses ne l’aiment pas.
Jusqu’à l’âge de onze ans, la vie de la narratrice se déroule donc dans la capitale d’un Liban déchiré et c’est la partie que j’ai trouvée la plus intéressante. Dima Adballah est née là-bas et connaît donc bien son sujet, comme elle l’avait expliqué lorsque nous l’avions rencontrée lors des Correspondances de Manosque 2020.
Petit à petit, la narratrice parle des plantes, du potager de sa grand-mère puis de celles qui poussent sur leur petit balcon : jasmin, thym, romarin, eucalyptus, origan, marjolaine… Cela devient un vrai leitmotiv. C’est beau mais un peu lassant. Par contre, l’autrice me gratifie régulièrement de savoureuses réflexions, surtout pendant l’enfance de sa narratrice.
Ce n’est que trois ans plus tard, en 1986, toujours à Beyrouth, que le père, journaliste, écrivain et poète, prend la parole. Il avoue ses faiblesses, raconte la terrible crise d’asthme de sa fille et les urgences de l’hôpital où il a fallu la conduire en catastrophe. C’est là que commence à ressortir une incommunicabilité, une absence terrible de mots entre eux deux, un problème qui va grandissant alors qu’ils ont quantité de points communs.
C’est lui qui pousse sa femme dont on parle vraiment très peu, à partir, avec leur fille et son petit frère. Nous sommes en 1989 et c’est à Paris qu’ils se retrouvent tous les trois dans le studio qu’habite une tante.
Le père fera plusieurs voyages mais sans rester. Sa fille retrouvera Beyrouth avec son frère, dix ans plus tard, pour trois semaines, mais 33 degrés Celsius et 73 % d’humidité lui causeront une nouvelle terrible crise d’asthme.
Les années passent. À 18 ans, elle quitte le lycée, part en Espagne, au Portugal, ne donne plus de nouvelles et révèle un mal-être grandissant. Il faudra des années pour que tout s’apaise et c’est là le thème principal du livre, cette perpétuelle introspection, faite de nombreuses redites, d’une souffrance morale et physique, ce que j’ai trouvé un peu pénible.
Les mauvaises herbes, les souvenirs qui ressortent à n’importe quel moment, la solitude de cette femme déracinée qui s’aperçoit qu’elle oublie l’arabe, sa langue maternelle, tout cela est détaillé, dit et redit.
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Dima Abdallah (photo ci-dessus), avec Mauvaises herbes, néglige assez le récit factuel, se contente de suggérer par petites touches, préférant écrire des pages magnifiques sur le rôle des plantes et les tourments moraux et physiques de son héroïne.
Mauvaises herbes est un beau premier roman qui comporte sûrement une part d’autobiographie. Il démontre toutes les souffrances d’une enfant traumatisée par la guerre civile et les dégâts causés par le déracinement, dégâts qui mettent très longtemps à se résorber.
Jean-Paul
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Mauvaises herbes par Dima Abdallah.
Sabine Wespieser (2020) 233 pages.
Prix envoyé par La Poste 2020.
Prix France-Liban 2020 de l'Adelf (Association des écrivains de langue française).
Pour son premier roman, Dima Abdallah (photo ci-dessous) nous emmène à Beyrouth, au Liban, le pays où elle est née en 1977.
Si, Mauvaises herbes est un roman, il est clair que l’auteure qui vit à Paris depuis 1989 a mis beaucoup d’elle-même dans celui-ci.
Nous voici donc à Beyrouth en 1983, pendant la guerre civile, avec une enfant de six ans que son père vient chercher à l’école car les bombardements ont repris. Sitôt là, elle s’accroche fermement au doigt de son géant de père qui l’escorte vers la sortie pour atteindre la voiture et rentrer à l’appartement. Elle nous fait part de ses sentiments vis-à vis de ce père qu’elle vénère et qu’elle observe intensément pour faire abstraction du décor et être seule avec lui : « la terre est dépeuplée de tout le reste ». Elle a une confiance absolue en lui, il est la personne la plus forte qu’elle connaisse, même si, une fois, un soldat l’a frappé et l’a fait saigner, qu’il ne s’est pas défendu, mais c’est donc que les soldats sont vraiment très dangereux.
À son tour, le père évoque son amour pour la fillette, vérifiant encore et encore que sa petite main douce et chaude se cramponne bien à son doigt. Cette main, il en connaît chaque détail et dit « Je crois qu’elle sait que j’ai autant besoin de sa main qu’elle a besoin de la mienne ».
Ces premiers chapitres peignent une relation père-fille magnifique, une relation étroite où les mots sont quasi inutiles tant la compréhension mutuelle est évidente.
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Il faut dire que tous deux sont sur la même longueur d’ondes. Elle est très intelligente, comprend très vite, à la différence des autres écoliers, qu’il est inutile de pleurer lors des détonations et qu’il vaut mieux en attendant les parents, cacher sa peur et être forte, elle s’entraîne d’ailleurs pour que les larmes ne montent pas. Incomprise donc par ses camarades d’école comme par les enseignants. Elle a la hantise d’être abordée par d’autres enfants, ceux-ci lui demandant toujours sa confession avant son nom. N’étant ni chrétienne, ni musulmane, n’appartenant à aucun groupe, elle ne sait que répondre. L’isolement est sa seule façon d’être au monde.
Son père, quant à lui, journaliste, est poète. Cet intellectuel libre et indépendant qui n’appartient à aucune faction , aucune confession se trouve étranger parmi les siens.
Cette différence que tous les deux partagent se révèle extrêmement difficile à vivre… Les plantes que le père achète, qu’ils arrosent ensemble sont un lien qui les unit et un moyen de communication qui se maintiendra toute leur vie, même une fois séparés.
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Lors de leurs incessants déménagements, les plantes, les fleurs, les arbres seront toujours leur refuge. Et si elle s’est toujours intéressée aux adventices, ces mauvaises herbes, « ces hôtes de lieux incongrus, ces hôtes que personne n’a invités, que personne n’a voulus, qui dérangent mais s’en moquent bien et n’en finissent pas de pousser », c’est bien parce qu’elle s’identifie à elles.
En 1989, à l’âge de douze ans, elle connaîtra l’exil à Paris avec sa mère et son petit frère, le père restant au Liban. Pour elle, ce sera une double déchirure, la perte de son père et de sa patrie.
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Mauvaises herbes est un livre douloureux et bouleversant, une histoire d’amour et de souffrance.
Beaucoup de poésie traverse ce roman avec en apogée ces mains qui sont tout un symbole et qui évoquent l’immense tendresse partagée par cette fille et son père.
Dima Abdallah montre combien il est difficile de trouver sa place dans un monde standardisé où il est particulièrement difficile de vivre si l’on ne se coule pas dans le moule et comment alors on doit vivre un véritable exil intérieur.
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J’ai savouré l’écriture de Dima Abdallah (photo ci-contre) et particulièrement apprécié la manière dont la jeune adolescente décrit son départ de Beyrouth en taxi, pour l’aéroport. Pour recenser tout ce qu’elle quitte et qu’intérieurement elle se refuse à quitter, elle emploie la forme négative. Une douloureuse énumération de ce qu’elle ne veut pas voir, de ce qu’elle ne veut pas ressentir, de ce qu’elle ne veut pas imaginer donne alors une puissance évocatrice immensément forte et bouleversante.
Un roman prégnant dans lequel l’amour, la peur, l’angoisse, la solitude, la marginalité, les regrets, le déracinement sont fort bien évoqués.
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Je me suis néanmoins légèrement enlisée vers la fin, trouvant redondants les derniers chapitres.
Ghislaine