François-Henri Désérable : Un certain M. Piekielny
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Un certain M. Piekielny par François-Henri Désérable.
nrf, Gallimard (2017) 258 pages ; Folio (2019) 288 pages.
Tout commence à Vilnius, en Lituanie, où François-Henri Désérable, après diverses péripéties, passe devant le n°18 de la rue Jono Basanavičiaus où Romain Gary a vécu, de 1917 à 1923. Cette maison est évoquée dans La Promesse de l’aube et c’est là qu’une phrase évoque « un certain M. Piekielny. »
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À partir de là, François-Henri Désérable (photo ci-contre), brillant hockeyeur à ses heures, lance sa quête, son enquête qui va lui permettre un superbe hommage à celui qui s’appelait Roman Kacew et dont la vie fut riche et mouvementée.
L’auteur, va, revient, fouille, abandonne, s’acharne, rappelle ou révèle des faits oubliés mais revient toujours à la Shoah, l’extermination des Juifs, abomination perpétrée au siècle dernier qu’il ne faudra jamais oublier.
Piekielny, en polonais, signifie « infernal », et ce voisin réel ou imaginaire aurait fait promettre au jeune Roman de rappeler son nom, ce que ne manquera pas de souligner François-Henri Désérable en affirmant que Romain Gary a parlé de M. Piekielny devant le général de Gaulle, la reine d’Angleterre, JF Kennedy… Tout cela au cours de scènes bien réelles !
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La lecture est très agréable, agrémentée de touches personnelles, d’un vécu sur les lieux évoqués. On apprend que 60 000 Juifs vivaient à Vilnius avant la seconde guerre mondiale, qu’ils étaient moins de 2 000 à la fin et qu’ils sont 1 200 aujourd’hui. Il y avait 106 synagogues et une seule de nos jours : « La Jérusalem de Lituanie, elle, avait bel et bien disparu. »
Lorsque l’auteur évoque le violon de M. Piekielny, son imagination fait des merveilles avant de nous entraîner à Nice, en 1928, où la famille Kacew s’installe. Puis, en 1943, à Londres, Roman choisit de s’appeler Gary, « brûle » en russe.
Revenir à Vilnius est nécessaire pour peaufiner sa quête et constater qu’il y a erreur sur la maison. Elle se trouve dix mètres plus loin mais c’est la même cour. Dalija Esptein le guide et lui détaille l’histoire de Juifs de Vilnius, de ses deux ghettos, des pierres tombales utilisées pour paver les rues : « Mon Dieu, dis-je. Mon quoi ? Les nazis ont détruit le peuple juif et les Soviets le patrimoine. »
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Aviateur très courageux, amoureux passionné, Romain Gary écrit et n’hésite pas à mentir, à s’inventer un passé, à espérer le Nobel après le Goncourt pour Les racines du ciel, le 3 décembre 1956, alors qu’il est diplomate, ambassadeur de France à La Paz, pour trois mois.
Impossible de passer à côté d’Émile Ajar. Ce pseudonyme permet à Romain Gary (photo ci-dessous) de mystifier les critiques comme Matthieu Galey qui démolissait chacun de ses livres et encense Émile Ajar… Ajar, en russe, signifie « braises ».
Après Gros câlin, c’est La vie devant soi qui offre, pour la première fois, en 1975, le Prix Goncourt au même homme, ce qui est interdit, en principe. Mais, à ce moment-là, le secret est bien gardé !
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Fiction ou réalité ? La question est magnifiquement traitée dans ce roman si bien écrit par François-Henri Désérable qui rappelle Les Onze, de Pierre Michon, à propos d’un tableau qui n’existe pas.
« Et si c’était un symbole ? Et si ce M. Piekielny incarnait les Juifs de Wilno, massacrés pendant la guerre ? » C’est pourquoi l’auteur salue « le triomphe indubitable, éclatant, de la littérature via la fiction. »
Jean-Paul