Mahias Énard : Rue des voleurs
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Rue des voleurs par Mathias Énard.
Actes Sud/ Leméac (2012). 251 pages ; À vue d'oeil (2013) ; Babel (2014) 352 pages.
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Entre les prix du livre Inter (Zone) et Goncourt (Boussole), Mathias Énard (photo ci-dessous) a réussi une fresque passionnante sur les pas d’un jeune Tangérois, terriblement attiré par l’Europe mais profondément attaché aux écrits des poètes arabes et à sa terre marocaine.
« Nous sommes des animaux en cage qui vivons pour jouir, dans l’obscurité… entre les putes, le Coran et Dieu qui était devenu un deuxième père, les coups de pied au derche en moins. » Lakhdar parle, raconte sa vie quotidienne, ses dix mois de cavale, 300 jours de honte après avoir fui sa famille car il avait été surpris avec sa cousine Meryem, nus tous les deux…
Son meilleur ami, Bassam, l’envoie dans une mosquée, chez des islamistes qui l’accueillent. Le Cheikh Nouredine lui confie le rôle de libraire du groupe. Le narrateur décrit son quotidien, les livres qu’il vend à la sortie de la mosquée, internet « Quand je me fatiguais du porno sur le web (un peu de péché ne fait de mal à personne), je passais des heures confortablement allongé sur les tapis », la lecture de l’arabe classique ainsi que des polars français achetés d’occasion.
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Nous sommes en plein dans les révolutions arabes. Pour les amis de Lakhdar, le but est simple : prendre le pouvoir avec les élections libres puis islamiser les constitutions et les lois avec pour modèle, l’Égypte mais les agissements du Cheikh et de ses hommes vont plus loin. Des idées, on passe aux actes et le terrorisme fait de plus en plus de victimes.
Heureusement, il y a la rencontre avec Judit, étudiante barcelonaise dont Lakhdar tombe amoureux. Elle lui parle de Mohamed Choukri (1) : « J’ai été surpris d’apprendre qu’on étudiait ses romans en littérature arabe moderne à l’université de Barcelone. » Hélas, quand il se promène avec elle, à Tanger, « c’était recevoir, à à chaque coin de rue, une sérieuse quantité de mollards symboliques. »
Ibn Battûta, grand voyageur et écrivain du XIVe siècle, revient souvent dans le récit de Lakhdar qui se fait embaucher dans la zone franche pour travailler devant un écran douze à seize heures par jour : « On avait l’impression que toute la France, tout le verbiage de la France atterrissait ici, en Afrique. » Quand il demande à son employeur un travail dans son entreprise, en France, la réponse est cinglante : « Mais justement, si on est implantés ici c’est pour que ça coûte moins cher, pas pour envoyer les travailleurs en France ! »
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Pour retrouver Judit, à Barcelone, Lakhdar devient homme à tout faire sur un ferry, employé de pompes funèbres clandestin pour les noyés du détroit de Gibraltar avant d’échouer dans cette carrer Robadors, la Rue des voleurs.
Mais la violence monte, ce que l’auteur appelle « la spirale de la bêtise ». Hanté par ses souvenirs, profondément humain, il ne peut sombrer avec ces drogués, ces pouilleux, ces barbus de la mosquée, il dépasse toutes les cases dans lesquelles on tente de l’enfermer. Marocain, Français, Espagnol, musulman ? « Je suis plus que ça. »
Jean-Paul
1 : Le Pain nu, grand roman de Mohamed Choukri, a été traduit en français par Tahar Ben Jelloun (Éditions François Maspero).