Loubna Serraj : Pourvu qu'il soit de bonne humeur
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Pourvu qu’il soit de bonne humeur par Loubna Serraj.
La Croisée des Chemins (Casablanca) et Au Diable Vauvert (2021) 322 pages.
Prix Orange du Livre en Afrique 2021.
Pourvu qu’il soit de bonne humeur est un livre qui interpelle et ne peut laisser impassible tant les violences conjugales exprimées dans ce roman sont terribles et inadmissibles, mais il est également une ode brillante à la liberté.
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Ce premier roman de Loubna Serraj, inspiré d’une histoire réelle tour à tour inscrite dans le passé et dans le présent, dénonce une société encore aveugle aux violences conjugales.
En inscrivant cette histoire en terre africaine, au Maroc, l’écrivaine s’adresse bien sûr à sa société mais également à tous les autres pays. Elle dénonce avec force et beaucoup de sensibilité les violences faites aux femmes. Et il suffit de suivre l’actualité pour savoir que même en France, où nous pourrions penser que de telles pratiques ne sont plus pensables, des femmes souffrent et meurent encore sous les coups de leurs conjoints.
Nous suivons donc deux femmes Maya et Lilya.
Maya, est une jeune fille avide de savoir mais qui a du arrêter ses études depuis un an car elle est née femme, donc destinée à être épouse puis mère, comme le voulait la tradition. Ce sont les moments précieux passés avec son frère Marwan, la personne la plus proche d’elle, où ils discutent et commentent ensemble l’actualité qui parvient à lui faire oublier sa tristesse.
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Le jour anniversaire de ses quinze ans, en 1939, son monde bascule quand sa mère lui annonce qu’elle se mariera dans une douzaine de jours.
Mariée à Hicham qu’elle ne connaît pas, celui-ci la violera trois fois durant sa nuit de noces. Maya endurera une vie faite de coups et de violences inouïes.
Malgré des souffrances horribles, dans un monde où la liberté est inenvisageable, Maya saura faire acte de rébellion en construisant sa propre bulle de liberté, notamment par les livres et les fleurs, son véritable jardin secret. Elle réussira, de plus, à l’insu évidemment de son mari, à s’engager avec son frère, pour l’Indépendance du Maroc qui aura lieu enfin, en 1956.
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Quatre-vingts ans plus tard, en octobre 2019, Lilya, une jeune femme journaliste, se réveille après une nuit très particulière, atteinte de troubles de la santé assez étranges. « J’étais loin de me douter que cette nuit d’octobre allait marquer le début d’un long voyage dans une histoire que je ne connaissais pas, que je ne soupçonnais même pas. »
Elle va finir par comprendre que ses malaises et ses visions sont une réminiscence des faits vécus par celle qui n’est autre que sa grand-mère paternelle, qu’elle n’a jamais connue. L’auteure par la voix de Lilya pose ces questions « Personne n’a bougé le petit doigt...Comment est-ce possible ? Comment leur conscience Leur a-t-elle permis de fermer les yeux sur ce que l’une des leurs endurait ? Comment toute cette communauté qui se dit famille unie, comprenant des personnes lettrées et instruites a pu faire la sourde oreille et tolérer cette horreur ? » Elle rappelle un peu plus loin que le viol conjugal n’est toujours pas reconnu au Maroc et que le système est pernicieux qui érige la victime en responsable de la violence.
La peur s’est donc insinuée dans les couloirs du temps pour faire passer un message, et c’est la transmission générationnelle du traumatisme qui est ici décrite par l’auteure.
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Si les violences conjugales sont la toile de fond de ce roman, outre les thèmes déjà cités, c’est également l’absence d’instinct de maternité que Loubna Serraj (photo ci-dessus) n’hésite pas à aborder.
Néanmoins, c’est cette quête de liberté, ce désir absolu de liberté qui relie ces deux femmes.
En lisant ce roman, je n’ai pu m’empêcher de penser à celui de Djaïli Amadou Amal, Les impatientes, Prix Orange du livre en Afrique 2019, dont le mariage forcé, le viol conjugal sont également les thèmes, non pas au Maroc mais au Sahel, et de faire le rapprochement entre « Patience, mes filles ! Munyal ! » et « Pourvu qu’il soit de bonne humeur ».
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Lauréat 2021 du Prix Orange du livre en Afrique, Pourvu qu‘il soit de bonne humeur mérite amplement cette distinction.
Je ne peux que noter qu’à chaque fois ce Prix Orange du livre en Afrique qui distingue des bouquins, véritables voyages en terre africaine, révèle de grands talents.
J’avais également été enthousiasmée à la lecture de L’écume du temps, d’Ibrahima Hane, qui faisait partie des livres sélectionnés.
Pour m’avoir permis de découvrir ce livre dont l’écriture est d’une telle force et d’une telle intensité, je remercie chaleureusement Dominique Sudre en partenariat avec Lecteurs.com et vous invite à le lire sans tarder !
Ghislaine