Sorj Chalandon : Enfant de salaud

Enfant de salaud      par    Sorj Chalandon.

Grasset (2021) 329 pages

 

Quel livre d’Histoire ! Quel roman, comme il est noté sur la couverture !

 

Encore une fois, Sorj Chalandon, mon écrivain préféré, m’a captivé et beaucoup appris ou rappelé avec Enfant de salaud, titre terrible.

 

Cet auteur m’a régalé à chaque fois avec Une promesse, Mon traitre, La légende de nos pères, Retour à Killybegs, Le Quatrième Mur, Profession du père, Le jour d’avant et Une joie féroce.

 

Dans Enfant de salaud, il se confronte au passé de son père. Tout se passe en 1987, d’avril à juillet. Ce qui aurait pu n’être qu’une sordide histoire familiale m’a replongé dans les affres de l’Occupation et du nazisme. Avant d’aborder le côté familial de son récit, Sorj Chalandon rappelle, avec une délicatesse infinie, le drame des enfants d’Izieu, déportés par Klaus Barbie. L’auteur est là, sur les lieux, quarante-trois ans après, là où quarante-quatre enfants et sept adultes qui pensaient être en sûreté, ont été embarqués sans ménagement, après dénonciation. Seule Léa Feldblum est revenue, libérée par l’Armée Rouge, en janvier 1945.

 

Sorj Chalandon aurait aimé avoir son père avec lui afin de tenter une explication permettant de comprendre pourquoi son grand-père lui a dit, un jour – il avait 10 ans - qu’il était un Enfant de salaud

 

Remontent alors à la surface des souvenirs d’enfance, des récits extraordinaires de son père se faisant passer pour un héros. La quête de ce fils va être terrible, angoissante, émouvante et dramatique face à ce père qui ment, ce salaud qui a trahi son enfant.

 

Voilà qu’en cette année 1987, se tient à Lyon, le procès Barbie (photo ci-dessous), le grand chef de la Gestapo dans la Capitale des Gaules. Sorj Chalandon y assiste en tant que journaliste, chroniqueur judiciaire pour Libération, journal dans lequel il a écrit pendant trente-quatre ans.

 

 

En écrivain confirmé, l’auteur réussit à faire revivre ce procès hors-normes tout en détaillant sa quête pour mettre au jour la véritable histoire de son père durant la seconde guerre mondiale.

 

Voilà que cet homme qui fut condamné le 18 août 1945 à un an de prison et à cinq ans de dégradation nationale parce que nuisible à la défense nationale, se met en tête d’assister au procès qui débute le 11 mai 1987 !

 

Depuis, le temps a passé. J’ai vu cette grande salle des pas perdus qui avait été spécialement aménagée pour le procès, visité le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (photo ci-dessous), à Lyon. D’ailleurs, cet important espace de mémoire a été aménagé dans l’ancienne école de Santé Militaire, là où Klaus Barbie sévissait, ce qui ajoute un intérêt supplémentaire à la visite. Même si j’ai vu le film diffusant des extraits du procès, le temps passe et la mémoire se dilue. Alors, j’ai particulièrement apprécié ce rappel, ces précisions, ces indications jamais rébarbatives sur ce qui s’est passé dans ce tribunal, jusqu’au verdict prononcé dans la nuit du 3 au 4 juillet 1987.

 

Sorj Chalandon cite les noms des témoins et remet en avant les victimes de la barbarie nazie. Son père était là et l’auteur réussit petit à petit à réunir les preuves de son imposture allant jusqu’à la folie. Ce dossier complet qu’il a pu récupérer récemment, il s’en sert pour tenter une confrontation désespérée avec celui qui l’a trahi, faisant bien ici œuvre de romancier avec ce talent que j’apprécie tant.

 

Au fil de ma lecture, j’ai été ému, angoissé espérant toujours une réconciliation entre ce père et ce fils, la mère étant très effacée et ne pouvant rien devant un homme prêt à tout pour se faire passer pour un héros.

 

Doublement axé sur un procès pour l’Histoire et sur l’imposture de ce père qu’il aime, avec qui il voudrait enfin s’expliquer, Enfant de salaud m’a beaucoup marqué.

 

J’ajoute un petit clin d’œil au passage car j’ai relevé à au moins deux reprises l’expression « porter un sac de pierres », expression qu’adore Sorj Chalandon pour faire sentir une quantité de souffrances très dures à supporter comme ce que ce fils a vécu face à ce père incapable d’assumer sa vérité.

 

Jean-Paul

 

Enfant de salaud      par    Sorj Chalandon.

Grasset (2021) 329 pages

 

Sorj Chalandon avait déjà consacré un roman à son père, avec Profession du père, père qui prétendait avoir été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d'une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Il revient cette fois encore sur ce père fantasque, manipulateur, imprévisible, mythomane invétéré, hanté par les paroles qu’a prononcées son grand-père devant lui quand il n’avait que 10 ans, en 1962 : « … Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté. » Et lorsque sa marraine veut intervenir, disant qu’il n’est qu’un enfant, il rajoute alors ces mots terribles « Justement ! C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! ».  Il faudra à l’auteur une vie entière pour en comprendre le sens…

 

Toute la singularité et la force de ce roman tiennent au fait que Sorj Chalandon, ayant pu récupérer le dossier pénal de son père aux archives départementales de Lille, raconte sa quête de la vérité au sujet de celui-ci  parallèlement au procès de Klaus Barbie (photo ci-contre), qui se tient à partir du 11 mai 1987 devant la cour d’assises de Lyon, l’auteur ayant été choisi par son journal « Libération » pour le suivre, procès au cours duquel doivent être établies les responsabilités du chef de la Gestapo à Lyon.

 

Enfant de salaud relate ainsi deux procès instruits en parallèle, celui intime sur ce père, jeune homme de 18 ans à l’époque, qui a endossé l’uniforme allemand, collaborant trois ans avec l’ennemi, ne cessant de changer de rôle, véritable affabulateur, que l’auteur voudrait entendre s’exprimer sur ses mensonges et ce procès public, historique sur Barbie, ce barbare nazi qui va devoir répondre de ses crimes atroces.

 

Pour ce qui est de son père, il est difficile pour son fils de s’y retrouver tant il n’a cessé de changer de camp et lorsqu’il essaie de le pousser dans ses retranchements, le mettant face aux écrits, celui-ci continue ses affabulations et refuse toute explication. Il aurait tant voulu libérer son père, « cet homme qui a passé sa guerre, puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes »,  de l’emprise du mensonge. Mais impossible, et pourtant cela leur aurait fait tant de bien, s’il lui avait avoué ces histoires folles « Et qu’il me l’aurait avoué. Et qu’il m’aurait dit vrai. Et que j’aurais été fier de sa confiance. Et que même s’il avait été puni par son pays, il n’aurait jamais été dégradé par son fils. Et je ne serais pas un enfant de salaud. »

 

Comment ne pas être bouleversé en lisant ces lignes  qui sont comme un cri d’amour désespéré.

Quant au procès de Klaus Barbie, Sorj Chalandon sait en restituer au silence près toute l’atmosphère digne et plus que bouleversante de ces témoignages de rescapés. Lorsqu’il évoque la plaidoirie de Serge Klarsfeld (photo ci-dessus en compagnie de Beate Klarsfeld), disant qu’il n’avait pas plaidé mais parlé avec tristesse, ses mots sont foudroyants : « Levé, droit face au box vide de l’assassin, il avait fait entrer ces enfants (d’Izieu) (photo intercalée entre nos deux textes) dans la grande salle. En file, les uns avec les autres, les petits donnant la main aux plus grands. Il les avait fait comparaître devant nous, devant toi, dans leurs shorts d’été, les chaussettes tombées sur leurs chaussures trop grandes... »

 

La confrontation entre la grande histoire horrible avec le rappel des atrocités de la shoah et ce personnage immonde et cynique de Barbie, véritable tortionnaire et la petite histoire avec la vie d’un opportuniste inconscient qui croyait se faire valoir davantage en mentant est menée avec un talent certain et surtout une émotion omniprésente.

Ghislaine

Romans de Sorj Chalandon déjà présentés sur le blog :

 

 

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H
Magnifique critique. <br /> J'ai adoré ce roman et je n'ai qu'une hâte, lire ses autres romans.
Répondre
J
Merci beaucoup ! Pour les autres romans de Sorj Chalandon, aucune hésitation : allez-y !
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