Deux hivers un été : Valérie Villieu et Antoine Houcke
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Deux hivers un été BD par Valérie Villieu et Antoine Houcke.
La Boîte à Bulles (2020) 180 pages + dossier.
Deux hivers un été est une magnifique BD qui raconte par la voix de Wally, le destin de sa famille juive polonaise, et notamment les années, sous l’occupation, où elle et ses sœurs, envoyés par leurs parents, ont dû se cacher dans un village proche de Grenoble, Corenc.
Herman Danzig fait du tourisme à Paris, le 3 août 1914, le jour où l’Allemagne déclare la guerre à la France. Austo-hongrois, il est considéré comme ennemi. Il est fait prisonnier civil et enfermé dans un camp d’internement. Libéré, il rentre à Leipzig. Il se marie bientôt avec Chana. Tous deux sont originaires de Brody en Pologne. Wally naît le 20 mars 1926. Avant elle, sont nés son frère Béno en 1921, ses sœurs Marie-Erna en 1923 et Bella en 1924. Wally n’a que 6 mois quand la famille part s’installer en France. Son père malgré son internement est resté nostalgique de notre pays, attiré par la culture, la littérature et la cuisine. Par souci d’intégration, ils franciseront même leurs prénoms et en 1932, naîtra la petite Jackie.
À force de travail, ils parviennent à faire prospérer leur activité de confection et à acquérir une relative prospérité économique, se créant une nouvelle vie, jusqu’en 1940. Ce sont cependant des années malheureusement jalonnées d’événements qui conduiront à l’irrémédiable. Ce sont janvier 1933 où Hitler est nommé chef du gouvernement en Allemagne, Août 1934 où il proclame l’avènement du IIIe Reich, la terrible « nuit de cristal » du 9 au 10 novembre 1938 et enfin l’invasion de la Pologne par l’Allemagne le 1er septembre 1939, avec pour réaction la déclaration de guerre de la France et l’Angleterre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.
Dès 1940, les Allemands ordonnent un recensement des Juifs et « Interdits après interdits, notre monde rétrécit. » et « Insidieusement, le piège se referme sur nous. » Une pleine page illustre d’ailleurs cette réflexion sous une forme très explicite.
En 1941, tout s’accélère, les mesures anti-juives tombent en cascade et les rafles commencent.
À partir du 7 juin 1942, le port de l’étoile jaune pour les Juifs devient obligatoire. C’est peu après que les parents décident d’envoyer Wally et ses sœurs dans le petit village de Corenc, au-dessus de Grenoble.
Ce sont principalement ces années hantées par la frayeur quotidienne que Wally a mis du temps à raconter qui nous sont contées grâce à l’auteure Valérie Villieu (photo ci-dessus) à qui elle a accepté de se confier pour nous transmettre cet indispensable témoignage. Si ce livre raconte la vie des sœurs Danzig lors de ces terribles années, il a également une portée universelle, leurs vies pouvant être comparées à celui d’une multitude d’autres familles juives de France ayant subies le même sort.
La force de ce récit tient justement au fait que la petite histoire est imbriquée dans la grande et plus particulièrement à celle de la résistance iséroise.
Quant au dessin d’Antoine Houcke (photo ci-contre), il est tout simplement fabuleux dans le rendu des deux sentiments très forts qui animent Wally durant ces deux hivers et un été où elle devra vivre cachée dans ce village montagnard au cœur de la nature. Dès son arrivée, elle est partagée entre l’inquiétude pour sa famille et le bonheur de la découverte de la montagne « C’est si beau, rassurant, apaisant ». Elle essaie d’y trouver des raisons d’espérer. Et ça, le dessinateur l’a fort bien rendu, utilisant un trait réaliste, noir, et un univers tout en grisaille pour illustrer cette horrible période de l’histoire et s’emparant des couleurs une fois que Wally a passé la ligne de démarcation. Étonnamment d’ailleurs, quand elle repense à cette période de Corenc, « Il m’arrive de me dire que c’était un des plus beaux moments de ma vie » et cela parce que « Tout était encore possible ». Une éblouissante double-page avec des taches de pastel rappelle la magie de l’automne et d’autres pages encore sont là pour rappeler la beauté que recèle la nature loin des noirceurs et de l’obscurité de cette horrible période de l’histoire. Nul doute que le décor environnant ait pu contribuer à apporter une aide à Wally pour faire face au froid, à la faim aussi, à l’inquiétude quant à ses proches et au doute quant à l’avenir, et lui faire respirer comme une bouffée d’air pur, bienvenue.
Les textes puissants et émouvants, pleins de sensibilité de Valérie Villieu alliés aux dessins splendides et tellement évocateurs d’Antoine Houcke touchent le lecteur en plein cœur et rendent le témoignage de Wally absolument bouleversant et plein de pudeur, un récit nécessaire afin de ne pas oublier l’ignominie dont ont pu faire preuve des hommes à une époque pas si éloignée que ça.
En appendice de cet album, sont donnés des repères historiques nous permettant de bien resituer certains faits, de même que les originaux de deux lettres de Béno, frère de Wally depuis le camp de Drancy et de celui de Royallieu-Compiègne ainsi que d’autres documents. En fin d’ouvrage, l’album photos de Wally, avant et après Corenc.
Ghislaine