Patrick Modiano : Dora Bruder

Dora Bruder    par    Patrick Modiano.

nrf, Gallimard (1997) 146 pages ; Folio (1999) 160 pages ; Belin-Gallimard (2020) 192 pages.

 

 

Ce Prix Nobel de littérature, aussi inattendu que flatteur, a motivé cette lecture car, à ma grande confusion, je n’avais encore jamais dévoré un livre de Patrick Modiano… Cette lacune regrettable est maintenant réparée grâce à Dora Bruder, récit d’une quête bien dans le style de l’écrivain nobélisé.

 

Tout part d’une annonce parue dans le journal Paris-Soir du 31 décembre 1941 : « On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale…Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. » et voilà Patrick Modiano lancé dans son exercice favori, la redécouverte de lieux familiers et des traces laissées par ceux qui y ont vécu :  « On se dit qu’au moins les lieux gardent une légère empreinte des personnes qui les ont habités… Ce quartier du boulevard Ornano, je le connais depuis longtemps. »

 

« Je me souviens »,écrit-il à propos du boulevard Barbès où il revient en 1996 après avoir écrit aux écoles où Dora a pu être scolarisée. Sa patience n’a pas de limites. Il lui a fallu 4 ans pour découvrir la date de naissance de son héroïne, le 25 février 1926, 2 ans de plus pour trouver dans quelle mairie elle a été enregistrée. Comme on refusait de lui communiquer l’acte de naissance, il a dû aller au Palais de justice, se perdre, se faire rabrouer et… voir remonter encore des souvenirs très personnels.

 

 

Le père de Dora, Ernest Bruder, est né à Vienne (Autriche) en 1899, une ville où il a vécu en 1965 : « Je me souviens des soirs d’été à Sievering et à Grinzing et dans les parcs où jouaient des orchestres. » Cécile Bruder, la mère est née dans une famille juive arrivée de Budapest et, après leur mariage, ils ont toujours vécu dans une chambre d’hôtel. Patrick Modiano retrouve même des photos de Dora à 2 ans, à 9 – 10 ans, à 12 ans et à 13 – 14 ans. Il n’a pas son pareil pour détailler ces clichés. Une cousine lui affirme que Dora était rebelle, indépendante, cavaleuse.

 

 

En 1940, Dora est inscrite dans un internat religieux, rue de Picpus. L’auteur reconstitue le décor, retrouve une ancienne élève, parle de ses dimanches en famille et du retour au pensionnat : « C’était comme de retourner en prison. » Obligés de se faire recenser comme juifs, ses parents ne déclarent pas Dora dont les journées sont rythmées par dortoir, chapelle, réfectoire, cour, salle de classe, chapelle, dortoir.

 

 

Plongés dans une des périodes les plus noires de notre Histoire, Patrick Modiano rappelle les conditions imposées aux juifs, dans Paris, en 1941. Si Dora a fait une fugue, lui-même en a fait une, le 18 janvier 1960, en plein hiver. Même le panier à salade qui l’emmène au commissariat est du même modèle que celui utilisé en 1941 – 42 pour les rafles perpétrées par la police française : « À seize ans, elle avait le monde entier contre elle, sans qu’elle sache pourquoi. »

 

 

Après un hommage aux femmes déportées, et la lettre intégrale de Jean Tartakovsky écrite au camp de Drancy avant le départ, c’est celui de Dora et de son père «… le 18 septembre, avec mille autres femmes et hommes, dans un convoi pour Auschwitz. »

 Jean-Paul

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D
Quand je pense que je ne l'ai pas encore lu ! Pourtant Christophe Jamin, l'auteur de "Passage de l'union" en parle dans son roman et m'avait aussi donné envie
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C
Un auteur qu'il faut que je découvre, par contre je ne sais pas par quel livre commencé : peut-être celui-ci que tu as chroniqué.<br /> Merci pour la découverte !
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