Serge Joncour : Nature humaine
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Nature humaine par Serge Joncour.
Flammarion (2020) 397 pages ; Feryane (2020) 464 pages ; J’ai Lu (2022) 480 pages.
Prix Femina 2020 ; Prix Midi et Prix François Sommer 2021.
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Un premier chapitre se déroulant le jeudi 23 décembre 1999 augure d’une fin peu réjouissante, et, si tout aurait pu se jouer autrement, Alexandre, le seul à vivre maintenant au sommet des prairies depuis la mort du chevrier Crayssac, ce vieux fou et le départ des parents de la ferme, n’éprouve cependant aucun regret.
C’est au travers de cette famille, les Fabrier, qui ont vécu dans cette ferme du Lot durant quatre générations et particulièrement à travers le regard du jeune Alexandre que Serge Joncour nous donne à revivre trente ans de la vie d’une ferme avec les révolutions du monde agricole et par là même trente ans d’histoire nationale, dévoilant ainsi beaucoup de la nature humaine !
Nature humaine se situe donc dans la France rurale entre la canicule de l’été 1976 et la violente tempête des derniers jours de l’année 1999, deux évènements météorologiques annonciateurs de la catastrophe environnementale que nous vivons.
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Alexandre, 19 ans, ce jeune agriculteur, a rencontré Constanze à Toulouse où sa sœur aînée est partie faire ses études. Cette allemande de l’Est, militante antinucléaire pour qui il a un vrai béguin l’amène à rencontrer des activistes violents et à mettre le doigt dans un engrenage qui sera source de beaucoup de suspense.
Serge Joncour, en excellent conteur et amoureux de la terre, raconte les révolutions du monde agricole, nous faisant prendre conscience avec acuité des effets des décisions d’hier dans le désastre écologique que nous vivons aujourd’hui.
L’exode rural illustré par les trois sœurs d’Alexandre préférant faire leur vie en ville, n’imaginant pas un seul instant rester à la ferme, l’arrivée du téléphone, des hypermarchés , en l’occurrence, le Mammouth de Cahors, débouché dans un premier temps pour les agriculteurs bien vite contraints de modifier leurs habitudes pour subvenir aux engagements pris, le productivisme , les engrais qui auront un rôle primordial dans le récit, le fameux RoundUp, les animaux en batterie, la vache folle, la construction des autoroutes, la mondialisation des échanges, autant de « progrès » pour lesquels le monde rural n’aura d’autre alternative que de s’adapter s’il veut survivre, tout en assistant à la décomposition progressive de son univers.
Une grande place est donnée également à la construction des centrales nucléaires avec le combat mené par les activistes anti-nucléaires dans les années 80 et bien sûr la terrible catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Cette fresque rurale rétrospective nous plonge dans les années Giscard, Mitterrand et Chirac avec notamment ce moment d’anthologie que nous fait revivre Serge Joncour avec l’élection de François Mitterrand ! C’est aussi la catastrophe de Tchernobyl, comme relatée précédemment, avec les infox qui ont circulé alors, et, la chute du mur de Berlin en 1989.
Ce n’est pas sans nostalgie que j’ai replongé dans ces années-là. Serge Joncour les a particulièrement bien retracées, leur redonnant vie avec brio.
L’auteur dresse de beaux portraits psychologiques et dépeint avec justesse les contradictions qui animent les personnages du roman.
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Pour exemple, si pour Constanze, les terres des Bertranges sont véritablement un lieu édénique, elle n’envisage pourtant en aucun cas y vivre, à l’instar de beaucoup de citadins d’aujourd’hui.
Mais c’est avant tout ses descriptions toutes de poésie de ces coins de nature encore épargnés par la mécanisation qui m’ont le plus émue et bouleversée, des pages magnifiques, de vraies toiles de maître, de même que les rêves de bonheur de ce courageux jeune homme pourtant confronté à un amour impossible mais que parvient à combler cette « nature humaine ».
Nature humaine, Prix Femina 2020, hautement mérité, est un roman rural simple, délicat et rythmé, au ton un peu désabusé certes, mais comment ne pas l’être, que je recommande fortement.
Ayant eu le plaisir d’assister à la présentation de son livre aux Correspondances de Manosque, en 2020 (photo ci-dessus), j’ai été conquise par cet auteur, son humour, sa simplicité et son amour de la terre.
Ghislaine