Boualem Sansal : 2084 La fin du monde
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Arrêté à sa descente d'avion, à Alger, le 16 novembre dernier, Boulem Sansal est un écrivain franco-algérien. Par solidarité envers un homme qui nous a déjà passionné avec Gouverner au nom d'Allah, Rue Darwin et 2084, La fin du monde, nous republions, ce soir la chronique concernant ce livre-ci, en espérant que ce grand écrivain retrouve très vite la LIBERTÉ.
Merci à Didier Larèpe pour son commentaire bienvenu.
2084 La fin du monde par Boualem Sansal.
nrf – Gallimard (2015), 273 pages ; Folio (2017) 336 pages ; De la Loupe (2016) 368 pages.
Grand Prix de l'Académie Française ; Meilleur livre de l'année (LIRE) 2015.
2084, la date n’est pas choisie au hasard car c’est une référence au fameux 1984 de George Orwell. Ici, nous sommes en Abistan, en principe en 2084 mais le temps n’évolue plus sous la surveillance de Yölah, un Dieu impitoyable, et d’Abi, son prophète que personne n’a jamais vu mais qui terrorise une population tentant de survivre tout en étant complice du pouvoir en poussant au paroxysme dénonciations, guerres interminables, bannissements et exécutions. Tout ce qui doit guider la vie des gens est consigné dans le livre sacré, le Gkabul.
Boualem Sansal (photo ci-dessous) fait débuter l'histoire dans la montagne de l’Ouâ, lugubre et oppressante où passent les pèlerins traversant la région du Sîn : « Quel meilleur moyen que l’espoir et le merveilleux pour enchaîner les peuples à leurs croyances, car qui croit a peur et qui a peur croit aveuglément. »
Dans ce sanatorium construit en 1984, Ati tente de soigner ses poumons mais les conditions de vie sont déplorables sauf l’endoctrinement religieux avec neuf prières quotidiennes psalmodiées chaque jour. Les caravanes de ravitaillement n’arrivent pas toujours. Certaines disparaissent et l’on retrouve parfois des soldats mutilés et ceux qui survivent aux attaques d’ennemis très mystérieux, sont exécutés à leur retour.
Ati, âgé de 32 ou 35 ans – il ne se souvient plus - est déjà un vieil homme. Il était bien physiquement mais c’est considéré comme une tare. Il se souvient des femmes derrière leurs voiles épais, leur burquinab et ces bandages comprimant leurs formes. Le mot mécréant le terrorise : « Dans son infinie connaissance de l’artifice, le Système a tôt compris que c’était l’hypocrisie qui faisait le parfait croyant, pas la foi qui par sa nature oppressante traîne le doute dans son sillage, voire la révolte et la folie. Il a aussi compris que la vraie religion ne peut rien être d’autre que la bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omniprésente. »
Enfin, Ati revient dans l’immense capitale, Qodsabad, qui englobe la cité interdite gardée par les Fous d’Abi dont on a enlevé le cerveau à la naissance. Au cours de son retour qui a duré un an, il a vu beaucoup de choses qui ne cessent de le hanter.
Sa vie à Qodsabad permet de découvrir l’ensemble de mesures destinées à museler complètement la population. Ati sympathise avec Koa qui va l’accompagner et tenter de découvrir les mystères de l’Abilang, la langue simpliste imposée à tous : « Elle ne parlait pas à l’esprit, elle le désintégrait et de ce qu’il restait (un précipité visqueux), elle faisait de bons croyants amorphes ou d’absurdes homoncules. »
L’histoire se poursuit avec les investigations menées par Ati et Koa et permet de découvrir comment les gens vivent ou tentent de survivre dans des conditions déplorables.
« Le grand malheur de l’Abistan était le Gkabul : il offrait à l’humanité la soumission à l’ignorance sanctifiée comme réponse à la violence intrinsèque du vide ,et , poussant la servitude jusqu’à la négation de soi, l’autodestruction pure et simple… La religion, c’est vraiment le remède qui tue. »
2084 est un livre emballant et décevant à la fois. D’abord emporté par la vision d’un avenir dont certaines réalités sont déjà bien visibles, j’ai été déçu ensuite par les détours que prend l’histoire, les complications alambiquées et l’embrouillamini dans lequel Boualem Sansal (Rue Darwin et Gouverner au nom d'Allah) nous perd mais c’est sûrement volontaire car l’impression de malaise profond s’amplifie et le but recherché est atteint.
Jean-Paul