Gaspard Talmasse : Le Grand Voyage d'Alice BD

Le Grand Voyage d’Alice      BD    par   Gaspard Talmasse.

et Le Grand Voyage d’Alice, à hauteur d’adulte.

La Boîte à Bulles (2021) 138 pages.

 

 

Le grand voyage d’Alice est une histoire vraie.

 

Gaspard Talmasse, dans cette bande dessinée revient sur l’enfance de celle qui est devenue sa femme.

 

C’est le récit bouleversant d’une fillette de 5 ans qui va accomplir un périple de plus d’un millier de kilomètres à travers la jungle, entraînée bien malgré elle dans le conflit ethnique au Rwanda.

 

C’est Alice qui est la narratrice et c’est donc avec ce regard d’enfant qui ne comprend pas vraiment le contexte que Gaspard Talmasse raconte sa terrible odyssée sanglante.

 

L’histoire débute à Gitarama au sud-ouest du Rwanda. Alice n’a que cinq ans, fin avril 1994,  et ses deux plus jeunes sœurs, les  jumelles  Adeline et Aline, trois ans, quand elle se rend compte que, depuis quelque temps, les adultes se comportent de façon étrange. Difficile pour une enfant de cet âge de saisir les événements en cours, à savoir le génocide des Tutsi au Rwanda, génocide qui coûtera la vie à des centaines de milliers de Tutsis et Hutus modérés. Son pays, en effet, plonge dans cette guerre fratricide entre les Hutus dont sa famille est issue sans pour autant avoir commis d’exactions, et les Tutsis.

 

Sa vie va alors basculer en cette fin mai 94, lorsqu’elle va devoir quitter son village avec les siens et marcher, marcher, marcher toujours plus loin, puis arriver au Zaïre, pour être ballottée de camp en camp, essayant de fuir les violences. Arrivées à Mbandaka à l’extrémité ouest du Zaïre, début août 1997, Alice connaît alors le matin le plus horrible de sa vie, avec une nouvelle attaque, la plus violente de toutes. Cette attaque a lieu lorsqu’avec sa sœur Adeline, elles sont dans la longue file pour aller voir le médecin. Il leur faut vite retrouver leur mère et elles n’ont jamais couru aussi vite de leur vie pour rejoindre le camp, « Mais dans le camp, maman n’était plus là. Il n’y avait presque plus personne… presque plus personne de vivant. ». Toutes deux fuient alors vers la forêt, continuant à chercher leur mère dans la jungle, mais en vain… Commence pour les deux enfants ignorant ce qu’est devenue leur mère un voyage dans l’inconnu. Elles retrouveront bientôt un autre membre de la famille, mais Alice devra laisser sa sœur chez la vieille dame qui l’a recueillie, lorsqu’elle-même devra monter à bord d’un camion de Zaïrois chargé de récupérer les réfugiés.

 

 

Rapatriée au Rwanda en novembre 1997, elle est accueillie dans un orphelinat. Elle allait avoir bientôt dix ans, fin janvier 1998, quand la dame qui s’occupait d’elle lui dit qu’elle va rentrer chez elle dans sa famille ! Elle imagine déjà sa mère …

 

 

Le grand voyage d’Alice, ce récit d’une enfant qui raconte son histoire, comment elle a traversé la guerre civile et le génocide rwandais, dernier génocide du XXe siècle, cet événement tragique où, en seulement 100 jours du 6 avril au 4 juillet 1994, environ 800 000 personnes ont été massacrées, est  un témoignage saisissant.

 

Durant toute sa fuite, Alice n’était qu’une enfant et l’auteur s’est donc attaché à restituer uniquement son ressenti, ses souvenirs, ce qu’elle a perçu de la situation, en respectant son regard d’enfant et, à mon avis, c’est ce qui fait toute la valeur et l’originalité de ce roman graphique.

 

J’ai d’abord été conquise par cette très belle couverture sur laquelle deux fillettes aux yeux démesurément agrandis par la frayeur fuient leur campement où les fumées témoignent de l’attaque dont il vient d’être le siège. Le vernis sélectif appliqué au titre et aux enfants participe à l’esthétique de cette première de couverture.

 

 

Les yeux immenses d’Alice accompagnent le lecteur tout au long de l’album et s’ancrent dans sa mémoire tant ils sont représentatifs de l’inquiétude, l’angoisse, la peur, la terreur, la souffrance, la solitude mais aussi des quelques rares moments d’espoir. Ils m’ont particulièrement marquée par la lumière intense qu’ils dégagent.

 

 

J’ai également fort apprécié la présentation de chaque chapitre avec la date, une vignette, le lieu  et une carte indiquant l’itinéraire.

 

 

Les dessins, très sobres, mais très explicites, alliés aux couleurs pastel ou vives mais toujours en adéquation avec le lieu et la période de la journée retranscrivent au plus juste les heures et les heures de marche pour ces jeunes enfants, la faim, la soif, la maladie, les camps de réfugiés, la fuite, la promiscuité, les interminables files d’attente pour tenter de voir un médecin et… la peur, servant à merveille le texte...

 

Puisse ce grand et périlleux voyage, ô combien poignant, permettre de ne pas oublier ce qu’a vécu ce peuple et notamment ces enfants et permette d’avoir un autre regard, un regard un peu plus bienveillant et accueillant pour tous les migrants d’où qu’ils viennent.

 

En appendice, Gaspard Talmasse (photo ci-contre), a écrit quelques pages intitulées « Le grand voyage d’Alice, à hauteur d’adulte » pensant, à juste titre,  qu’il serait intéressant de bénéficier d’un regard d’adulte sur tous ces événements. Je vous laisse le soin de découvrir à qui il s’est adressé pour cela…

 

Je remercie très sincèrement La Boîte à Bulles qui m’a permis de découvrir ce magnifique album que je recommande chaleureusement.

 

À noter que Le grand voyage d’Alice de Gaspard Talmasse a reçu le Prix Médecins sans frontière 2021, un prix bien mérité.

 

Ghislaine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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