Nathacha Appanah : Rien ne t'appartient

Rien ne t’appartient      par    Nathacha Appanah

nrf - Gallimard (2021), 158 pages ; Feryane (2022) 264 pages.

 

 

 

Depuis la mort d’Emmanuel, son mari, avec qui elle était mariée depuis quinze ans, Tara est oppressée par le chagrin et la solitude, et de plus elle est hantée par des visions et des fantômes. Une fille s’immisce dans ses rêves et Tara pense que c’est elle qui lui fait oublier les mots, les événements, elle, qui lui envoie ce garçon qu’elle voit sur le fauteuil, elle qui lui fait danser nue la bharatanatyam. Des souvenirs clignotent. Elle sent qu’elle n’aura bientôt plus la force de retenir en elle ce qui gronde et menace de ressurgir, c’est-à-dire la réapparition de celle qu’elle a été avant, une fille avec un autre prénom qui aimait rire et danser, qui croyait en l’éternelle enfance avec un appétit de vie immense comme si elle se doutait que cela n’allait pas durer.

 

 

Elle s’accroche tout en pensant à Emmanuel et se disant que « lui seul pouvait me maintenir debout, me garder intacte et préservée de ma vie d’avant, mais il n’existe plus ».

 

 

Quand elle apprend que Eli, le fils d’Emmanuel, inquiet pour sa santé, a pris pour elle un rendez-vous chez le neurologue, qu’étant allé dans sa chambre lui chercher une couverture, il revient en lui demandant « C’est qui, Vijaya ? », Tara pense qu’il faut que ça s’arrête et qu’il est temps d’en finir.

 

 

Rien ne t’appartient est construit en deux parties. Le roman commence par la voix de Tara puis vient ensuite celle de Vijaya, une voix qui vient du passé, celle de cette petite fille à la vie  délicieuse et sans entraves, éveillée à la beauté, à la sensualité, à la danse et à la connaissance par ses parents mais à qui « jamais personne n’a expliqué ce que c’est qu’être une fille dans ce pays ».

 

Aussi tout bascule lorsque des militaires forcent l’entrée de la propriété. Vijaya sera enfermée et comme d’autres fillettes heureuses, transformée en esclave silencieuse. Ce qui signera la fin de son insouciance sera cette phrase que lui jette à la figure la directrice du lieu où elle va être enfermée « Rien ne t’appartient » et fera dire à Vijaya « En vérité, plus rien ne m’appartient, ni ici, ni ailleurs, ni jamais. Mon nom, mon histoire, ma mémoire s’effacent. Je m’endors comme on tombe dans un puits noir ». Ce sera son premier tsunami !

 

 

Rien ne t’appartient s’attache à montrer que cette dépossession ne peut être totale pour Vijaya et qu’avec beaucoup de courage, en apprenant à mentir, elle gardera son cœur pour aider ses consœurs dans la détresse et parviendra à une sorte de renaissance. En allant au bout d’elle-même, elle parvient à garder son intégrité. La perte et la reconquête, la condition féminine de même que le deuil, la mémoire, le corps, le désir et la mort sont les thèmes abordés dans ce magnifique roman.

 

 

J’ai été une nouvelle fois émerveillée par l’écriture à la fois tellement sensible, poétique, délicate, élégante, sensuelle et rythmée  de Nathacha Appanah, une écriture charnelle, véritable immersion sensorielle dans un monde fait pourtant de tant de douleur, de brutalité et de ténèbres mais aussi de tant de douceur, de beauté et de sensualité et d’où finalement surgit la lumière…

 

 

 

Quel moment sublime lorsque Tara se remémore une séance de danse et se met à l’exécuter ! La description est telle que son souffle m’a enveloppée et que j’ai cru la voir et la sentir danser.

 

 

Rien ne t’appartient, ce roman bouleversant tout en sobriété, en suggestions et d’une extrême sensibilité  m’a vraiment touchée et enthousiasmée. Nathacha Appanha (photo ci-dessus) nous l'avait présenté aux Correspondances de Manosque 2021.

 

Ghislaine

 

 

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