Philippe Claudel : L'Archipel du Chien
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L’Archipel du Chien par Philippe Claudel.
Stock (2018). 282 pages ; Le Livre de Poche (2019) 240 pages.
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Si L’Archipel du Chien sort tout droit de l’imagination de Philippe Claudel, tout ce qu’il raconte existe ou a existé, c’est un drame actuellement, un drame qu’aucun responsable politique ne veut résoudre malgré tous les appels à plus d’humanité.
La vie n’est pas facile sur la seule île habitée de l’archipel. Les jeunes partent, les saisons sont contrastées et, si l’habitat est classé au patrimoine de l’humanité, les maisons ne sont guère confortables au pied de ce volcan, Le Brau, qui se manifeste régulièrement.
Ce n’est pas de lui que vient le cataclysme qui va emporter la vie sur l’île mais de ces trois cadavres découverts, un matin, sur la plage. L’auteur nomme ses personnages à sa façon de manière très classique : le Maire, le Docteur, l’Instituteur, le Curé, ou avec des noms comme la Vieille, Amérique, le Spadon, Fourrure… C’est écrit sans fioriture et c’est raide, sans artifice, comme l’atmosphère qui règne là.
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Tous se connaissent depuis toujours sauf l’Instituteur qui n’est pas de l’île : « Un étranger donc. » Il est détesté par la Vieille car il lui a succédé, et sa femme, infirmière, n’a pas de travail. L’Instituteur est choqué par ce que décident le Maire et le Docteur qui fait de l’humour. Il veut prévenir les autorités quand … « le Curé apparut, avec ses lunettes de myope et son cou glabre de coq anémié, étranglé par le faux col de sa soutane qui jadis avait été blanc, mais que la crasse et le temps avaient rendu aussi gris qu’une corde de pendu. »
On l’a compris, deux optiques s’opposent et l’Instituteur est bien seul. Il inquiète le Maire car il est trop curieux et veut comprendre : « C’est toujours pareil avec les hommes qui ont étudié. » Pour l’élu, il n’est pas question que cette affaire s’ébruite car il tient à ce que son projet de thermes voit le jour. Tout pourrait se calmer quand débarque un homme qui se dit policier et qu’on appelle aussitôt Commissaire.

À partir de là, le roman prend un tour encore plus tragique avec une démonstration réussie d’une mécanique infernale visant à éliminer une personne gênante, à ne reculer devant rien pour éliminer un innocent. Lorsqu’il est accusé de caresser les enfants, l’Instituteur s’insurge : « Vous appelez cela des caresses et donnez tout de suite une connotation perverse. Il ne s’agissait que de gestes de sympathie, d’encouragement, une façon de les récompenser. » Mais le Commissaire va au bout de sa logique : « Que je vous croie ou non n’a aucune importance et que vous soyez innocent n’en a pas davantage. » Il poursuit : « Mais qui s’intéresse à la vérité, monsieur l’Instituteur ? Tout le monde s’en fiche, de la vérité ! Ce qu’ils veulent, c’est votre tête… »
Une fois clos ce chapitre extrêmement tendu, le roman perd beaucoup de son intensité malgré l’épisode de la S’tunnello, la chasse au thon. Philippe Claudel (photo ci-dessus) conclut son livre de façon lucide, énigmatique aussi mais tellement réaliste car ces êtres humains qui fuient des conditions de vie insoutenables, qui laissent tout derrière eux pour affronter les pires dangers, sont exploités par des gens sans scrupules, prêts à toutes les ignominies afin d’assurer leur commerce.
J’ai retrouvé, dans L’Archipel du Chien, une atmosphère me rappelant Le Rapport de Brodeck, cette ambiance lourde, vite insoutenable ne pouvant se résoudre que dans le drame.
Jean-Paul
Autres livres de Philippe Claudel déjà présentés sur le blog :
- Trilogie de l'homme devant la guerre comprenant, en plus du Rapport de Brodeck :
- La petite fille de Monsieur Linh.