Christy Lefteri : Les Oiseaux chanteurs

Les Oiseaux chanteurs     par    Christy Lefteri.

Traduit de l’anglais par Karine Lalechère.

Titre original : Songbirds.

Seuil (2022) 360 pages.

 

 

Courageuse Christy Lefteri qui, avec Les Oiseaux chanteurs, au travers de l’histoire de Nisha, dénonce le scandale des travailleuses immigrées exploitées sans vergogne à Chypre comme ailleurs !

 

 

Ici, Petra, l’employeuse, et Yiannis, son locataire amoureux de Nisha, s’expriment tour à tour avec, à intervalles réguliers, une parenthèse marquée par un oiseau. Cette parenthèse bien mystérieuse au départ devient de plus en plus prégnante, jusqu’à l’explication tragique finale. Elle rappelle aussi l’existence du lac Mitsero (photo ci-dessous), un lac rouge, toxique, à l’emplacement d’une mine de cuivre abandonnée.

 

 

Nisha, la trentaine, prépare les repas, fait le ménage chez Petra et élève carrément la fille de la patronne, Aliki. Partie du Sri Lanka où elle a laissé Kumari, sa fille, née juste après la mort de son mari, Nisha envoie régulièrement de l’argent à sa famille car elle veut qu’elle puisse vivre décemment et que Kumari fasse des études.

 

 

Rapidement, je suis pris par la tension, l’angoisse, et scandalisé par cette exploitation, cet esclavage de femmes ayant quitté leur pays afin de permettre à leur famille de subsister ou de se bâtir tout simplement une vie meilleure.

 

Christy Lefteri qui m’avait conquis avec L’Apiculteur d’Alep, ne me déçoit pas car elle sait dénoncer des faits inadmissibles, honteux, tout en réservant de très beaux moments de poésie ou de rêve comme cette barque posée dans le jardin de Petra, où Nisha et Aliki peuvent venir se réfugier de jour comme de nuit. Il y a aussi ce mouflon extraordinaire rencontré dans la forêt par Yiannis.

 

 

Justement, Yiannis, de son côté, vit une belle relation avec Nisha, relation qui doit rester secrète car ces femmes dont certaines sont très jeunes, sont non seulement exploitées mais interdites de tout amour ou amitié avec une tierce personne, sous peine de renvoi. Je n’oublie pas que, pour venir du Sri Lanka, des Philippines, du Népal, de Roumanie ou du Vietnam travailler à Chypre, elles ont dû passer par une agence qui a avancé l’argent du voyage et se fait rembourser largement sur leur salaire.

 

 

Yiannis qui fut un cadre de banque gagnant bien sa vie, a perdu son travail lors de la crise mondiale de 2008. Ces banques chypriotes assuraient d’énormes transferts d’argent entre la Russie et Chypre et même avec Slobodan Milosevic, criminel de guerre serbe.

 

 

 

Alors, pour gagner sa vie, Yiannis s’est laissé entraîner par Seraphim, un camarade d’enfance, dans une activité interdite mais très rémunératrice : le piégeage des oiseaux chanteurs. Que ce soit avec des gluaux ou avec des filets japonais, becs-croisés, mésanges noires, grimpereaux, milans noirs, buses variables, bondrées apivores, pinsons, chardonnerets, et même un faucon crécerelle, ce sont, pour la plupart, des oiseaux migrateurs de passage sur l’île de Chypre. Attirés par des appeaux dont certains sont des oiseaux en cage, ils sont condamnés à une mort certaine – si vous voulez savoir comment ils sont achevés, lisez le livre ! -, plumés et vendus aux restaurants après avoir mariné dans du vinaigre.

 

 

 

Si cela rapporte beaucoup à Yiannis, Les Oiseaux chanteurs le mettent mal à l’aise puis le rendent malheureux. Voilà donc un intérêt supplémentaire au roman de cette autrice née en Angleterre mais dont les parents, Chypriotes, se sont réfugiés de l’autre côté de la Manche après la guerre de 1947 qui a divisé le pays, division toujours en place aujourd’hui. Chypriotes grecs et Chypriotes turcs qui vivaient ensemble jusque-là, se sont combattus et la capitale de cette île, Nicosie, est encore la seule capitale au monde coupée en deux par une frontière…

 

 

Dans Les Oiseaux chanteurs, tout bascule lorsque Nisha disparaît. Christy Lefteri, avec tact et douceur, conduit remarquablement la quête menée par Petra et Yiannis, quête qui se heurte au mépris de la police et suscite des retours en arrière, des souvenirs remontant à la surface, très instructifs.

 

 

Les Oiseaux chanteurs, bien traduit par Karine Lalechère, m’a ému, passionné, intrigué, révolté et je remercie vivement Babelio et les éditions du Seuil pour m’avoir permis de lire ce livre avant la sortie en librairie, en mai prochain. J’espère qu’il sera lu par le plus grand nombre car ce qu’il décrit se passe en 2016, c’est-à-dire hier, dans un pays d’Europe, dénonçant deux scandales qui font honte à notre humanité.

 

Jean-Paul

 

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