Rabih Alameddine : Les Vies de papier
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Les Vies de papier par Rabih Alameddine.
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard. Titre original : An Unnecessary Woman (2013) .
Les Escales (2016) 329 pages ; 10/18 (2017) 360 pages.
Prix Femina étranger 2016.
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Aaliya a 72 ans, traduit des romans en arabe depuis l’âge de 22 ans et reconnaît : « Je suis une vieille dame. » Chaque année, le 1er janvier, elle attaque la traduction d’un nouveau livre : « la littérature est mon bac à sable, » comme le lecteur va s’en apercevoir.
Le premier écrivain qu’elle cite, c’est Walter Benjamin, philosophe allemand, traducteur de Proust et Beaudelaire, victime du nazisme, pour qui elle allume deux bougies. Elle a aussi un faible pour Fernando Pessoa. Nous sommes à Beyrouth, il est important de le préciser car la ville est un personnage-clé du roman.
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Petit à petit, elle livre des éléments de sa vie et parle beaucoup d’Hannah, cette amie plus âgée qui fut si précieuse mais qu’elle n’a pas su préserver du suicide. Aaliya signifie l’élevée, celle au-dessus, mais rien ne fut facile car son père est mort à 21 ans, sa mère se retrouvant veuve à 18 ans !
Mariée dès 16 ans ce qui implique de quitter l’école, puis répudiée quatre ans plus tard, elle parle de son mari sans pitié : « L’insecte impuissant prit la porte. ». Elle doit lutter car sa famille et celle de son mari veulent récupérer l’appartement qu’elle a pu conserver grâce à la bienveillance du propriétaire.
Tout au long du récit, philosophes, écrivains, musiciens apparaissent avec, parfois, une citation. Cela m’a fait penser à Boussole de Mathias Enard et c’est parfois au détriment du récit et surtout de cette vie beyrouthine passionnante chaque fois qu’elle est abordée.
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La guerre civile et les bombardements ont dévasté sa ville : « j’observais ma ville nécropole qui brûlait et se désagrégeait. » 1977 : les soldats déféquaient dans les appartements qu’ils envahissaient par effraction ; 1982 : Beyrouth est assiégée par les Israéliens. Les habitants sont privés d’eau pendant deux semaines et Aaliya subit l’intrusion de trois hommes dans son appartement. Quelle description de Sabra lorsqu’elle cherche Ahmad qui l’aidait à la librairie où elle a travaillé cinquante ans !
Son avancée dans l’âge est décrite avec finesse et réalisme : « Pourquoi donc est-ce à l’âge où l’on a le plus besoin des vertus curatives d’un sommeil profond qu’on y accède avec le plus de mal ? Hypnos dépérit tandis que Thanatos approche. »
L’auteur est un homme, Rabih Alameddine (photo ci-dessous), et son écriture est superbe et bien traduite. Il est très émouvant lorsque Aaliya retrouve sa mère et lui lave les pieds mais aussi avec les trois voisines, Fadia, Joumana et Marie-Thérèse, qui savent être solidaires. Sur le plan politique, il ne mâche pas ses mots : « Comme de nombreux États nations, y compris son État sœur pygmée, le Liban, Israël est une abomination. Les Israéliens sont des juifs qui ont perdu le sens de l’humour. »
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Pour Beyrouth, ville où l’auteur réside une partie de l’année, le constat est sans appel : « Construire, c’est imprimer une marque lunaire à un paysage, et les Beyrouthins ont imprimé leur marque sur leur ville comme une meute de chiens enragés. »
Les Vies de papier a obtenu le Prix Femina étranger 2016 et c’est mérité.
Jean-Paul