Leonardo Padura : Hérétiques
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Hérétiques par Leonardo Padura.
Éditions Métailié (2014) 608 pages ; Points (2016) 720 pages.
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zavas.
Titre original : Herejes.
Trois parties composent ce passionnant et riche roman de Leonardo Padura, Hérétiques.
Elles concernent trois personnages. La première intitulée Livre de Daniel raconte l’histoire de ce jeune juif polonais de Cracovie Daniel Kaminsky envoyé chez son oncle Joseph à Cuba pour échapper à la fureur nazie et l’espoir qu’il a eu de retrouver sa famille fin mai 1939 lors de l’arrivée à La Havane du paquebot Saint-Louis parti de Hambourg quinze jours auparavant. En effet, les parents et la sœur du petit Daniel faisaient partie des neuf cent trente-sept juifs passagers. Mais, six jours après son arrivée au port, le président Bru cédant à la pression nord-américaine ordonne au Saint-Louis de sortir des eaux territoriales cubaines, les passagers se voient ainsi refuser l’entrée à Cuba. À peine un peu plus d’une vingtaine de juifs ont pu descendre du bateau. Daniel Kaminsky se débat alors dans les brumes de sa douleur et prend la ferme décision de renier sa condition de juif. Il ne reverra jamais les siens…
Le deuxième livre est consacré à Elías Ambrosius Montalbo de Ávila, Juif séfarade, qui en 1643, prend la décision irréversible d’apprendre l’art de la peinture et devient apprenti de Rembrandt, contre la Loi de sa religion.
La troisième partie, Livre de Judith concerne une jeune emo, Judy, les emos constituant une des « tribus urbaines » apparues vers 2008 dans la rue G à La Havane. Elle fait partie de ces ados tourmentés qui avec piercings et scarifications rejettent la société et sont en quête d’individualité.
Les trois protagonistes en cherchant, chacun à leur manière un moyen de s’affranchir des diktats de leur temps ou de leur communauté pour vivre libres, exprimant une façon de penser dissidente, marginale, deviennent ainsi « Hérétiques ».
Mario Conde, cet ancien policier cubain pure souche reconverti en acheteur de livres anciens va nous guider parmi ces amoureux de la liberté, en se lançant sur la piste d’un mystérieux tableau de Rembrandt, disparu dans le port de La Havane en 1939 et retrouvé comme par magie des décennies plus tard dans une vente aux enchères à Londres. Ce portrait d’un jeune juif ressemblant au Christ est le véritable fil rouge de l’histoire.
Hérétiques de Leonardo Padura (photo ci-dessus) est une véritable épopée dédiée à La Havane. Il est aussi un formidable roman d’aventures dans lequel l’enquête policière avec le destin énigmatique de ce tableau peint par le Maître a une place de choix et il est surtout un bel essai sur le libre arbitre, abordant maintes pistes de réflexion sur le combat à mener pour vivre libre.
Ce roman très dense, véritable fresque foisonnant d’informations m’a emportée de Cuba, à Amsterdam et même en Pologne pour mon plus grand plaisir, même si j’ai pu être lassée parfois par quelques longueurs. Mais le personnage fétiche de Padura, cet ex-policier, avec sa compagne Tamara, ses copains chaleureux et accueillants, toujours prêts à trinquer avec une bonne bouteille de rhum et surtout ses talents de fin limier m’ont fait passer d’excellents moments de lecture tout en tutoyant la grande histoire.
La condition des Juifs, la vie cubaine avec l’ère Batista, puis la révolution et le régime castriste, la jeunesse d’aujourd’hui qui tend à se marginaliser, la peinture hollandaise au XVIIe siècle, tels sont les thèmes évoqués dans ce richissime bouquin, le tout sous-tendu par cette quête de liberté si justement exprimée par Elías à son grand-père, au haham Ben Israël et à Rembrandt : « Vous m’avez appris qu’être un homme libre c’est plus que vivre dans un lieu où on proclame la liberté. Vous m’avez appris qu’être libre, c’est une bataille qu’il faut livrer tous les jours, contre tous les pouvoirs, contre toutes les peurs. »
Polar, roman historique, essai philosophique sur le libre arbitre, Hérétiques de Leonardo Padura (Retour à Ithaque, La transparence du temps, Poussière dans le vent, L’homme qui aimait les chiens) est un roman passionnant et enrichissant où fiction et réalité se mêlent avec brio !
Ghislaine