Yamen Manai : Bel abîme
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Bel abîme par Yamen Manai.
Elyzad (2021) 109 pages.
Prix Orange du Livre en Afrique 2022.
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Bel abîme de Yamen Manai (photo ci-dessous) est un petit roman qui n’a de petit que le nombre de pages, guère plus d’une centaine ! C’est en fait un roman puissant et percutant.
C’est de manière originale que nous découvrons peu à peu ce qui est arrivé à un jeune garçon tunisien de quinze ans, grâce à deux interlocuteurs auxquels l’adolescent s’adresse, un avocat, Maître Balouche et un psychiatre, le docteur Latrache, venus lui rendre visite en prison. Au fil de ce soliloque, nous comprenons peu à peu la révolte qui a grandi et grondé en lui face aux brimades de son père qui n’a eu de cesse de l’humilier et face aux injustices et au mépris de la société pour les petites gens. C’est sans aucune déférence et avec une ironie mordante qu’il leur explique sa situation et la justifie.
Les livres dans un premier temps lui permettent d’oublier le présent et surtout de se faire oublier.
Mais ce sera Bella, petite chienne minuscule d’un jour ou deux qu’il a trouvée quand il avait douze ans, en rentrant de l’école et qu’il a recueillie contre le gré de ses parents, Bella, devenue son amie, son amour, avec qui il va nouer un amour inconditionnel, qui lui donnera le courage d’affronter ses peurs : « Tout au long de notre relation, elle n’a eu de cesse de faire ressortir ma meilleure face, la plus brave, la plus digne, et de forger en moi une force que je ne me soupçonnais pas ».
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Aussi, quand Bella est tuée, impossible de laisser cet acte impuni, il faudra bien la venger…
C’est un long cri de rage et de douleur que pousse le jeune homme, donnant à comprendre tout le mal être de la société tunisienne et notamment des jeunes, une dizaine d’années après la révolution. S’adressant à son pays, il dit « Je lui murmurais que l’un comme l’autre, nous étions un bel abîme dans lequel les rêves se sont échoués... »
Les jeunes, en effet, las de vivre dans la misère, confrontés à un monde de façades, une société gouvernée par les apparences et la religion avec une perspective réduite et décevante, sont fatigués de ces gérontocraties corrompues qui méprisent les plus faibles à commencer par les animaux. Et quand un gouvernement lance une campagne régionale d’abattage de chiens errants et charge les agents municipaux de les tuer par balles dans les rues de certaines villes, on ne peut qu’être indigné, tout comme l’est le narrateur. À la question de ce dernier à l’agent, « Pourquoi vous les exterminez ? », la réponse sera « Pour que la rage ne se propage pas dans le peuple »…
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En reconstituant un fait divers situé dans le contexte politique de la Tunisie d’aujourd’hui, Yamen Manai offre au lecteur un texte fort et bouleversant qui se lit d’une seule traite tant on est tenu en haleine et déchiré en découvrant ce terrible et cruel éveil au monde qu’a vécu ce garçon.
Bel abîme se lit comme un superbe conte philosophique où violence et douceur se percutent et qui engage le lecteur à une réflexion sur le monde actuel.
Avec ce roman, Yamen Manai a été lauréat en 2022, du 4e prix Orange du Livre en Afrique, un prix amplement mérité (photo ci-dessous).
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Je remercie chaleureusement et très sincèrement Nicolas Zwirn de lecteurs.com pour cette magnifique découverte et j’encourage vivement chacun à se plonger illico dans cette lecture passionnante.
Ghislaine