Giuliano da Empoli : Le Mage du Kremlin

Le Mage du Kremlin    par   Giuliano da Empoli.

Gallimard (2022) 279 pages.

Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2022.

 

Depuis que Vadim Baranov, celui que l’on appelait « le mage du Kremlin », « le nouveau Raspoutine », a démissionné de son poste de conseiller  de Vladimir Poutine, on ne sait pas très bien ce qu’il est devenu.

 

Un français, le narrateur, qui vient d’arriver à Moscou pour travailler sur un projet de réédition du roman dystopique « Nous » de Zamiatine va fortuitement le retrouver et être invité  à le rencontrer.

 

Vadim Baranov va alors lui confier son histoire. Dans un long monologue, après avoir évoqué son grand-père, survivant des purges staliniennes, son père qui a tout perdu à l’arrivée de Gorbatchev, tout ce qu’il avait réussi à construire en un demi-siècle, il va dérouler les vingt dernières années de l’histoire de la Russie, depuis la fin de l’URSS jusqu’à aujourd’hui, et raconter comment il est devenu l’éminence grise de Vladimir Poutine, qu’il nomme le Tsar.

 

 

 

Vadim Baranov, homme de théâtre et de télévision, ancien élève de l’Académie d’art dramatique de Moscou et qui aime bien son travail, va se voir proposer par Boris Berezovsky, le milliardaire, propriétaire de l’ORT, la première chaîne de la télévision russe récemment privatisée de passer  au niveau supérieur : « Que dirais-tu de cesser de créer des fictions pour commencer à créer la réalité ? », la première chose dont on a besoin c’est d’un parti !

 

 

Les élections présidentielles approchant, l’influent oligarque lui  donne rendez-vous au siège du FSB, l’ancien KGB. Introduits dans le cabinet du  patron qui n’est autre que Vladimir Poutine,  Berezovsky propose à ce dernier de « prendre les rênes de la situation pour faire passer la Russie dans le nouveau millénaire », pour restaurer la verticalité du pouvoir, l’assurant qu’il sera à ses côtés à tout moment pour le conseiller et l’aider.

 

 

Quelques jours plus tard, acceptant la proposition de Berezovsky (photo ci-dessus, avec Eltsine), ce n’est pas lui que Poutine invite à déjeuner, mais Vadim Baranov à qui il demande d’être son conseiller et s’il accepte la proposition de travailler exclusivement pour lui. Cette improbable collaboration durera une quinzaine d’années.

 

 

Nous voilà alors plongés dans les arcanes du pouvoir de Poutine et amenés à rencontrer les personnages qui ont marqué l’histoire de la Russie depuis vingt ans, Mikhaïl  Khodorkovski, l’ami de lycée de Vadim devenu oligarque, Boris Berzovsky déjà présenté, Sechine, le fidèle secrétaire de Poutine, mais aussi  Prigogine « son cuisinier », Limonov, ou encore Alexandre Zaldostanov (photo ci-dessus), président du club de motards  « Les Loups de la nuit », avec bien sûr, au premier plan, ce fameux mage du Kremlin, Vadim Baranov, personnage de fiction, derrière lequel se cache Vladislav Sourkov.

 

Photo ci-dessus : Le siège du FSB.

 

Quand, à l’été 99, « le vieil ours » Boris Eltsine désigne comme premier ministre Vladimir Poutine, la nouvelle est accueillie par un scepticisme général.

 

Mais, deux bombes vont exploser dans la périphérie de Moscou et ces attaques commises à l'explosif et à la voiture piégée vont être officiellement attribuées par les autorités russes à des indépendantistes  Tchétchènes. L’aviation russe va alors bombarder l’aéroport de Grosny : « Au sommet, il y avait à nouveau quelqu’un capable de garantir l’ordre. Ce jour-là, Poutine est devenu Tsar à part entière. »

 

Photo ci-dessus : Vladislav Sourkov et Vladimir Poutine.

 

Je n’ai pu m’empêcher d’être surprise par les ruses utilisées par Berezovsky pour que Boris Eltsine soit réélu avec une large majorité malgré son état de santé déplorable, et comment alors Berezovsky est devenu le vrai patron de la Russie.

 

De même j’ai été outrée en revivant cette scène absolument surréaliste dans laquelle cet homme complètement isolé reçoit, accompagné de son gigantesque labrador noir, Angela Merkel dont on connaît la phobie pour les chiens depuis qu’elle avait failli être déchiquetée par le rottweiler du voisin à l’âge de huit ans.

 

 

De la guerre en Tchétchénie, en passant par l'annexion de la Crimée, l'occupation du Donbass, ou encore la mise en scène de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Sotchi, le mage du Kremlin, a dû concrétiser les souhaits du Tsar, tout en les orientant, contribuant à construire ce système.

 

Le politologue Giuliano da Empoli (photo ci-dessous) qui a lui-même fréquenté les coulisses du pouvoir, en dévoilant les dessous de l’ère Poutine dans ce magnifique ouvrage, Le Mage du Kremlin, offre une réflexion brillante et passionnante et une sublime méditation sur l’exercice du pouvoir dans sa forme la plus absolue. 

 

 

Il raconte avec une écriture simple et efficace l’ascension et la consolidation du pouvoir de Poutineen en révélant la face cachée, décortiquant l’ensemble des évènements et leur enchaînement, ainsi que les raisons qui ont conduit à l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022.

 

Dans ce pays gagné par le chaos, les électeurs seront reconnaissants à Poutine d’avoir restauré la verticalité du pouvoir en Russie. 

 

 

Tout en étant très romanesque, Le mage du Kremlin, ce récit de celui qui a en a été le plus puissant stratège, est un roman très documenté, particulièrement éclairant, stupéfiant et suffocant. S’il est oppressant et effrayant, les dernières pages sont apocalyptiques car le pire nous attend, dit le mage, avec l'avènement d'une puissance qui n'aura bientôt "plus besoin de la collaboration humaine".

 

Sacré Grand Prix du Roman de l’Académie française, Le Mage du Kremlin est captivant de bout en bout et d’une implacable lucidité.

Ghislaine

 

 

 

 

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Vraiment très envie de le lire celui-là !
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