Carlos Manuel Álvarez : Tomber
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Tomber par Carlos Manuel Álvarez.
Mémoire d’encrier (2022) 165 pages.
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Éric Reyes Roher.
Titre original : Los Caídos.
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Tomber m’a plongé dans la vie quotidienne d’une petite famille cubaine confrontée à la vieillesse des parents et au désir d’indépendance de leurs deux enfants, sur fond de crise économique et politique.
Carlos Manuel Álvarez, considéré comme l’un des meilleurs écrivains latino-américains de sa génération, prouve son talent dans ce roman publié en français par l’éditeur canadien Mémoire d’encrier. Son récit est divisé en cinq grandes parties donnant la parole, avec une régularité de métronome, au fils, à la mère, au père et à la fille.
Chacune et chacun s’exprime, se plaint, se souvient, raconte ses démêlés avec un autre membre de la famille ou avec d’autres personnes. C’est Diego, le fils, qui commence, parle de son service militaire et des appels téléphoniques à sa mère, Mariana. Il ajoute qu’Armando, son père, est fier de lui.
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De son côté, la mère est bien malade. Cette professeure à la retraite subit des crises d’épilepsie fréquentes causant des chutes de plus en plus graves. Quant au père, il est un communiste convaincu, appliquant ses idées jusqu’au bout, quitte à pénaliser gravement ses proches. L’exemple du père est éloquent et Carlos Manuel Àlvarez démontre avec brio ce qu’un intégrisme, quel qu’il soit, peut faire comme dégâts.
Enfin, María, la fille, me paraît la plus sympathique. Avec courage, elle porte assistance à sa mère qui peut faire jusqu’à huit crises par semaine. Elle est aussi un exemple du jusqu’au-boutisme de son père. En effet, lorsqu’Armando est nommé directeur de l’hôtel quatre étoiles où elle travaille déjà comme cheffe de rang, celui-ci veut la licencier pour échapper à tout soupçon de favoritisme ! Heureusement, Armando doit céder.
Éric Reyes Roher qui a traduit le livre de Carlos Manuel Álvarez, a bien su rendre sentiments et réflexions développées par l’auteur. Il permet surtout de ressentir au plus près la réalité d’une vie quotidienne à la limite du supportable. L’allusion aux « années dures » revient souvent, ce qui prouve que la situation s’est quelque peu améliorée pour cette petite famille faisant partie, pourtant, de la classe moyenne.
Au travers des réflexions des personnages, le père mis à part, les exemples de privations, de vexations, de déceptions et même de délations sont parfaitement révélateurs. Carlos Manuel Àlvarez ajoute aussi de justes considérations sur l’amitié et les rapports sociaux.
À la fois philosophe et pragmatique, l’auteur n’hésite pas à me mettre mal à l’aise, à me faire réfléchir ou même à souffrir, sans oublier de remettre en scène le Che et cette fameuse bicyclette qu’un fabricant voulait lui offrir pour sa fille…
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Prostitution, vols, trafics en tous genres, débrouillardise poussée au maximum, astuces, cadeaux, tous les moyens sont bons pour les Cubains s’ils veulent survivre. Beaucoup ont choisi de partir mais ceux qui sont restés aiment leur île par-dessus tout ou n’ont pas eu les moyens ou l’occasion de…
La corruption, les magouilles et le sans-gêne de dirigeants qui se servent d’abord, comme cela se fait ailleurs, n’entament pas l’idéal construit autour d’une volonté de partager richesse ou pénurie, face à l’hostilité d’un environnement politique sans pitié.
Aussi, je ne peux dire mieux que cette phrase mise en exergue dès que j’ouvre le livre : « C’est une chambre de cinq mètres carrés où tout le monde est ami ou ennemi, voire ami et ennemi de soi-même. »
Cette lucidité donne toute sa valeur à ce roman que j’ai pu découvrir grâce à Babelio et aux éditions Mémoire d’encrier que je remercie.
Jean-Paul