Gaëlle Josse : La nuit des pères

La nuit des pères    par   Gaëlle Josse.

Noir sur Blanc (2022) 192 pages ; La Loupe (2022) 270 pages.

 

 

 

Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Gaëlle Josse conte une histoire familiale bâtie autour de ce père qui commence à souffrir de « la maladie de l’oubli ».

 

 

L’histoire débute le vendredi 21 août 2020 lorsque la narratrice principale, Isabelle, revient dans le village de montagne où elle a grandi. Là, Olivier, son frère, médecin, vit toujours près de leur père.

 

 

Olivier attend sa sœur en gare de Chambéry (photo ci-dessous). Avant de se retrouver dans ses « bras enveloppants, tendres et légers », Isabelle s’est adressée à son père, mentalement, pendant son voyage depuis Paris.

 

 

Elle se dit brouillonne, pressée, curieuse et compare son caractère avec celui d’Olivier, qui est patient et généreux. Leur père, guide de montagne réputé, a quatre-vingts ans.

 

De sérieux symptômes de cette maladie de l’oubli n’ont pas manqué d’alerter Olivier. Ce dernier était revenu au village à la mort de leur mère survenue dix ans auparavant.

 

 

Les confidences, les réflexions d’Olivier et d’Isabelle sont toujours d’une extrême délicatesse. Leur respect mutuel est parfait et Gaëlle Josse mène admirablement échanges et réflexions sans jamais lasser. Ainsi, j’apprends que ce père, considéré comme un héros dans la vallée, est colérique et qu’il a surtout négligé sa fille qui lui en veut toujours. Il ne s’occupait que d’Olivier, si bien qu’Isabelle encore petite, avait décidé d’être un garçon. Pour cela, elle avait coupé elle-même ses cheveux avec une paire de ciseaux : un désastre ! Avant que sa mère ne tente de masquer un peu les dégâts, elle avait déjà reçu deux claques de son père.

 

 

Autre élément  important du récit, pas le moins émouvant : la mort de Vincent, le mari d’Isabelle. Celle-ci est une réalisatrice réputée de reportages sous-marins – peut-être par opposition à cette montagne qu’elle hait – et Vincent plongeait pour filmer ce qu’elle demandait. Hélas, un jour…

 

 

Avec ça, Isabelle continue à confier ses souvenirs, ses regrets, les vexations et les punitions venant toujours de ce père qui, pourtant, la reçoit bien, paraissant en parfaite possession de ses moyens mais qui, subitement, oublie ce qu’il veut faire alors qu’il vient juste d’en parler. Il demande même des nouvelles de Vincent,  mort depuis un an !

 

Photo ci-dessus : Gaëlle Josse.

 

Fête des Pères rejetée par le principal intéressé, inspection sévère des chambres des enfants, lecture indiscrète et traumatisante du journal intime de sa fille, les exemples de mauvais souvenirs remontent à la surface. Malgré tout, il a veillé sur elle pendant ses dix jours de coma, suite à une grave chute avec son vélo rouge offert à Noël.

 

 

Surtout, il y a cette montagne qui cannibalise la vie familiale, ces colères subites, violentes, inexpliquées et ces hurlements, ce long cri de terreur que le père poussait chaque nuit.

 

 

Gaëlle Josse donne enfin la parole à cet homme qui, face à ses deux enfants, se met enfin à raconter son embarquement, à Marseille, le 9 mars 1960, à bord du Sidi Ferruch. Lui qui, sursitaire, se préparait à être prof de lettres, a fait partie de tous ces appelés du contingent envoyés en Algérie. On lui parlait d’événements et d’une indispensable pacification…

 

 

Il s’est trouvé qu’au moment où je lisais La nuit des pères, la chaîne de télévision LCP a diffusé un formidable documentaire réalisé par Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora : C’était la guerre d’Algérie. Bien conseillé par mon épouse qui n’avait pas manqué les présentations dans Télérama, j’ai pu voir et revoir tous les éléments d’un drame qui a causé d’innombrables victimes et laissé des traces indélébiles.

 

 

La nuit des pères et C’était la guerre d’Algérie se sont complétés et enrichis mutuellement.

 

Jean-Paul

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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M
J'ai découvert cette autrice avec ce roman Quelle force!!<br /> <br /> Le syndrome post traumatique & ses dégâts transgénérationnels
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D
Comme les hasard font bien les choses, j'ai posté aujourd'hui sur instagram la chronique de ce livre lu en décembre (déjà postée sur le blog) notre lecture commune en quelques sorte ! intéressant ce reportage dont tu parles sur l'Algérie. Nous avons tous dans nos familles des père, des oncles, des relations de cette génération qui étaient là-bas sans jamais l'avoir voulu. Fort heureusement pour le mien, pas dans la pire époque,il y faisait son service en 56 je crois, mais il n'est plus là pour en parler.
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J
Et oui, Dominique, j'ai vu ça ce matin...<br /> Les grands esprits...<br /> Pour moi, la guerre d'Algérie, me ramène à mes 7 ans. Un oncle en revenait et il m'avait fait frémir en racontant à mes parents une de ses expéditions contre les fellaghas, comme on les appelait... Insupportable ! Je traînais par là et je n'aurais pas dû entendre... Je n'ai jamais oublié, depuis.
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