Jean-Louis Fournier : Où on va Papa ?
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Où on va Papa ? par Jean-Louis Fournier.
Stock (2008) 156 pages ; Le Livre de Poche (2010) 160 pages.
Prix Femina 2008.
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Où on va papa ? est un court roman largement autobiographique dans lequel tragédie et humour se côtoient en permanence, un humour désespéré et absurde.
Ce récit, Jean-Louis Fournier, cet écrivain, humoriste, comparse de Pierre Desproges et réalisateur de télévision, le consacre à ses deux premiers enfants Mathieu et Thomas, handicapés moteurs et mentaux. Il a eu quelquefois la tentation de leur offrir un livre à Noël, ne l’a jamais fait « ce n’était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire ». Il va quand même leur en offrir un, celui-ci, qu’il a écrit pour eux, pour qu’on ne les oublie pas et pour dire des choses qu’il n’a jamais dites.
Le titre « Où on va papa ? » fait référence à la phrase que son fils Thomas ne cesse de répéter lorsqu’ils sont en voiture, dans cette fameuse Camaro.
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L’auteur se souvient du premier médecin qui a eu le courage de leur annoncer que Mathieu était définitivement anormal, qu’il n’y avait rien à faire. Il se souvient de l’horreur qui s’en suivit, puis la joie nouvelle, teintée d’inquiétude à l’arrivée d’un deuxième enfant, deux ans après.
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Impossible que ça arrive une seconde fois et à la naissance, Thomas est un bébé superbe. Il confie alors à des amis que cette fois, il se rend compte de ce que c’est d’avoir un enfant normal. Mais il a été optimiste un peu vite, Thomas se révèle rapidement un enfant fragile et souvent malade jusqu’à ce que leur médecin traitant ait le courage de leur dire la vérité : « Thomas est, lui aussi, handicapé, comme son frère ».
Jean-Louis Fournier (photo ci-dessous), pour garder la tête hors de l’eau se moque lui-même de ses enfants. Il livre sans réserve ses sentiments, avec cet humour cru qui est une façon pour lui de surmonter ce qu’il nomme ses « deux fins du monde » et la comparaison n’est pas usurpée.
Pour ne pas sombrer, le rire et la plaisanterie ont fait office d’antalgiques à cet homme, lui permettant d’aller de l’avant et de rester debout. L’humour employé tout au long du bouquin lui sert à exorciser sa douleur et dévoile en fait toute la tendresse et tout l’amour qu’il porte à ses garçons qui ne connaîtront jamais la musique, la peinture, la littérature, le cinéma... « De ces grandes joies-là qui aident l’humanité à vivre, ils vont être privés aussi. » Il aurait tant aimé leur faire découvrir tout ça…
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Outre ces espérances déçues, il confie ses regrets de n’avoir jamais pu communiquer avec eux et avoue aussi n’avoir pas toujours été suffisamment patient.
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La moquerie et la dérision n’empêchent pas les sentiments. Où on va papa ? serait un récit absolument insoutenable si l’auteur ne détournait pas la gravité de la situation par sa drôlerie.
Photo ci-contre : Pierre Desproges.
Bouleversant, émouvant, poignant et déchirant quand s’adressant à « ses petits oiseaux », il avoue sa tristesse à penser qu’ils ne pourront jamais goûter à ce qui fait le sel de la vie, qu’ils ne pourront jamais conjuguer à la première personne du singulier et à l’indicatif présent ce verbe « aimer ».
Un peu surprise au début par cet humour noir quelquefois grinçant, un peu gênée parfois de sourire sur un sujet aussi grave, j’ai rapidement été conquise par le style de ce poème en prose, le ton sincère et juste et l’immense sensibilité dont fait preuve l’auteur.
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J’ai retrouvé avec Jean-Louis Fournier cet humour noir et ce sens de l’absurde que j’appréciais tant chez Pierre Desproges et qui affirmait : « Le rire est un exutoire et je ne comprends pas qu’on dise qu’il ne faut pas rire de ce qui fait mal. Ça fait moins mal quand on en a ri. »
C’est exactement ce que j’ai ressenti avec cet ouvrage qui, avec le rire permet de dédramatiser cette situation tellement noire et inhumaine, tout en mettant en évidence cet amour inconditionnel que porte ce père à ces enfants !
Où on va papa ? Prix Femina 2008, se lit quasiment en apnée. De plus, ce livre a été adapté au théâtre par Michel Lavoie, avec Alain Guerry et Sandrine Girard.
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En écrivant cette relation avec ses deux enfants lourdement handicapés, Jean-Louis Fournier a souhaité montrer que la vie de ses fils ne se résumait pas seulement à une photo sur une carte d’invalidité et il a réussi à établir ainsi un véritable dialogue avec eux d’une tendresse inouïe.
Les lecteurs de ce petit bouquin n’oublieront pas de sitôt Mathieu et Thomas !
Ghislaine