Boris Cyrulnik : Le laboureur et les mangeurs de vent

Le laboureur et les mangeurs de vent    par  Boris Cyrulnik.

Liberté intérieure et confortable servitude.

Odile Jacob (2022) 259 pages.

 

Si Boris Cyrulnik est un neuropsychiatre réputé, il reste un enfant qui, à l’âge de 7 ans, a été condamné à mort, à Bordeaux, la ville où il est né. J’avais lu Sauve-toi la vie t’appelle il y a quelques années et c’est grâce à l’ami Jean-Pierre S. que je retrouve une écriture toujours érudite et passionnante.

 

Dans Le laboureur et les mangeurs de vent, Boris Cyrulnik s’attache à analyser, à mettre en lumière les contradictions présentes dans tous les êtres humains. Liberté intérieure et confortable servitude, sous-titre de l’ouvrage, confirme bien l’objectif visé par l’auteur : décortiquer un dilemme base de tant de traumatismes.

 

Dans notre espèce humaine, il y a les laboureurs, ceux qui cherchent, remettent en cause les vérités préétablies, assénées par les dirigeants, pour essayer de comprendre par eux-mêmes, quitte à désobéir.

 

Photo ci-dessus : Hannah Arendt et Heidegger.

 

A contrario, les mangeurs de vent se rassurent et apprécient de se retrouver avec le plus grand nombre, ce qui peut mener aux drames les plus horribles du XXe siècle.

 

 

Bien sûr, la Shoah - extermination programmée des Juifs mais aussi des Tziganes, des infirmes, des malades mentaux par les nazis – mérite un examen approfondi qui revient régulièrement mais il faut se garder de la banaliser car ce massacre s’appuyait sur l’obéissance aveugle de fonctionnaires satisfaits d’obéir aux ordres.

 

 

L’exemple d’Eichmann (photo ci-dessous) est détaillé, appuyé par les observations d’Hannah Arendt et sa fameuse formule si critiquée : « la banalité du mal ». Boris Cyrulnik (photo ci-dessus) démontre que n’importe quel être humain peut se révéler « mangeur de vent » et que tout se joue durant l’enfance. Si la célèbre politologue née en Allemagne puis naturalisée américaine était séduite par l’intelligence de cet homme, elle n’a pu accepter qu’il devienne un nazi convaincu sans, toutefois, pouvoir effacer les moments de bonheur vécus avec lui.

 

 

Ces nazis pouvaient massacrer froidement des milliers de Juifs dans la journée, enfants, femmes, hommes, et retrouver joyeusement leur foyer en soirée. Pour cela, il fallait nier toute humanité à ceux qu’ils exterminaient, ne pas capter leur regard.

 

 

Trente-trois petites parties, chapitres plus ou moins long, se succèdent. L’écriture de Boris Cyrulnik est simple même s’il lui est impossible d’évacuer des termes qui lui sont familiers mais pas ou peu utilisés dans la vie courante. Peu importe, chaque chapitre hérite d’un titre qui annonce la couleur comme « Croire au monde qu’on invente » ou « Parler pour cacher le réel », ou « Se soumettre pour se libérer », ou encore « Toute-puissance du conformisme »

 

Photo ci-dessus : Le Chambon-sur-Lignon.

 

Cet homme qui s’est tu pendant quarante ans car son récit, il le dit lui-même, n’intéressait personne, a enfin réussi à être cru grâce aux témoins qu’il a retrouvés souvent par hasard. Un livre, une émission de télévision en 1983 lui ont permis d’être écouté. Après s’être soumis, il s’est enfin libéré.

Photo ci-dessus : La maison des enfants juifs de Moissac.

 

L’auteur rappelle qu’un enfant a besoin de trois niches pour se développer harmonieusement : la sensorialité, l’affectivité et la verbialité. Dans ce chapitre, plus long que les autres, il précise que « dans une famille pauvre structurée par l’affection et la culture, les enfants ne sont pas malheureux et se développent bien. » Ensuite, ce sont les utopies qui escroquent les peuples jusqu’à ce que la déception survienne, trop tard, hélas.

 

Photo ci-dessus : Dieulefit, le village des Justes.

 

Quand il se demande s’il faut se « Soumettre à l’autorité », la question se pose : obéir ou pas ? Il rappelle la fameuse expérience  de Stanley Milgram avec ces décharges électriques d’intensité croissante envoyées par des « enseignants » à des « apprenants » dès que ces derniers commettaient une erreur. 65 % des « enseignants »  n’ont pas hésité à torturer, se soumettant à une autorité morale, démontrant à nouveau cette « banalité du mal » mise en avant par Hannah Arendt.

 

 

 

Enfin, Boris Cyrulnik fait bien de rappeler qu’au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), qu’à Dieulefit (Drôme) et qu’à Moissac (Tarn) pas un seul des Juifs réfugiés n’a été dénoncé alors qu’à Paris et dans les grandes villes cela se faisait couramment. Comment expliquer qu’au Chambon-sur-Lignon, sur les cinq mille réfugiés dont trois mille cinq cents Juifs, pas un n’ait été dénoncé comme le demandaient deux pasteurs ? Estime pour ces pasteurs ou volonté de désobéir aux nazis ?

 

 

Tous ces comportements méritaient d’être analysés comme l’a fait Boris Cyrulnik dans Le laboureur et les mangeurs de vent car cela permet de comprendre génocides, massacres ethniques, guerres civiles, idéologiques et religieuses. Chaque être humain peut basculer dans l’horreur pour peu qu’il devienne un mangeur de vent au lieu de désobéir aux ordres donnés. C’est un choix douloureux qui doit se préparer dès l’enfance comme y revient justement l’auteur à la fin d’un ouvrage riche d’enseignements.

Jean-Paul

 

 

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Je l'ai pas mal lu dans le passé mais je l'avoue je n'ai plus rien lu récemment non pas que je me lasse de lui, non c'est qu'il est devenu plus médiatique et du coup j'ai moins besoin de le lire. Ta chronique me donne envie de noter ce livre. Merci de nous le présenter
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