Dominique Celis : Ainsi pleurent nos hommes

Ainsi pleurent nos hommes    par   Dominique Celis.

Éditions Philippe Rey (2022) 283 pages.

 

 

 

 

Erika écrit à Lawrensa, sa sœur, depuis Kigali. Ces lettres, ce journal, couvrent toute l’année 2018. Ainsi pleurent nos hommes, roman écrit par Dominique Celis, autrice belgo-rwandaise, est fondamentalement original. De par sa forme d’abord avec des phrases percutantes ou parfois un seul mot aussi.

 

 

Cela m’a dérouté au début et, souvent, j’ai eu du mal à m’y retrouver, d’autant plus que l’autrice a inséré beaucoup de mots et d’expressions en kinya, la langue majoritaire du Rwanda. C’est souvent traduit en bas de page et un glossaire permet de s’y retrouver, à la fin.

 

 

 

Dans son premier roman, Dominique Celis a bien fait de donner la parole à beaucoup de personnages constituant l’entourage d’Erika qui retranscrit dialogues et réflexions. Le tout est très animé et plonge, du début à la fin, dans tout ce que ressent cette fille de médecin, faisant donc partie d’un milieu aisé puisqu’elle parle de temps en temps du personnel travaillant au service de ses amies alors que bières, whisky et cigarettes ne sont pas comptées.

 

 

D’emblée, je suis frappé par l’expression employée par Erika alors qu’elle veut quitter le Rwanda. Elle qualifie le pays de « cimetière à ciel ouvert ». Enfin et surtout, Erika est une grande amoureuse. Elle se consume d’amour pour Vincent qui a tout donné pour éviter le pire mais a perdu les siens et préfère travailler en Turquie.

 

 

Erika est revenue au pays des Mille Collines, vingt ans plus tard et cela lui permet de constater que le Rwanda est en pleine reconstruction mais que le génocide est impossible  à effacer malgré tous les efforts déployés.

 

 

Si certains génocideurs, violeurs atroces, ont été condamnés à perpétuité, d’autres ont échappé à la justice ou ont subi des condamnations ridicules au vu des actes commis. Cela traverse tout le roman, d’autant plus que les quatre tantes, les Tatas d’Erika : Gaudénia, Dévoté, Ansila et Daphrosa, ont subi d’incroyables violences, en public, devant leurs voisins, sans que personne n’intervienne. C’est Félix, un ancien domestique de la famille, qui raconte.

 

 

Tout au long de ces lignes ressort les incroyables préjugés, les mortelles certitudes des Hutus envers les Tutsis. Ces derniers sont déshumanisés, qualifiés de parasites, de cafards, de serpents et tout peut arriver, même le plus inimaginable.

 

 

La plupart du temps, les bourreaux s’approprient les biens des sacrifiés, sans le moindre scrupule. Le plus incroyable c’est que dans ce pays, comme dans d’autres, les rencontres, les amours se nouaient sans trop tenir compte de l’origine ethnique, souvent pas évidente. Qu’importe, une fois l’infernal engrenage enclenché, rien ne l’arrête et la Belgique et la France dont la présence est forte là-bas, ont une responsabilité dans ce qui s’est passé au Rwanda entre 1990 et 1994.

 

 

C’est tout cela qui transparaît dans les confidences d’Erika à sa sœur qu’elle appelle aussi, affectueusement, Lo. Erika aime, a besoin d’amour, s’accroche à Vincent,  baise avec Manzi, le beau karatéka. Elle se rend au bord du lac Kivu, « le Tout beau » où ses souvenirs d’enfance ressurgissent mais le souvenir des Tatas, de sa Gaudé, sont impossibles à effacer. Cela la motive pour débusquer encore des génocideurs assez malins pour avoir fait oublier leurs crimes.

 

Photo ci-dessus : Dominique Celis et Gaël Faye qui a déclaré :

"Ce roman puissant et fiévreux dans le Rwanda d'aujourd'hui m'a bouleversé."

 

Ainsi pleurent les hommes, ce sont certains hommes rwandais qui ont du mal à vivre car ils n’ont pas pu répondre à ce qu’on attendait d’eux : se protéger, protéger les gens et les femmes en particulier de ce génocide.

 

 

Dominique Celis a écrit un roman fort, très fort, tout en étant hors normes. Il faut de pareilles œuvres pour ne pas effacer le passé et redonner vie à celles et à ceux qui sont tombés sous les coups d’ennemis sanguinaires qui étaient pourtant leurs « amis », leurs voisins, leurs copains d’enfance…

 

Jean-Paul

 

 

 

 

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