Abdelkader Djemaï : Mokhtar et le figuier
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Mokhtar et le figuier par Abdelkader Djemaï.
Le Pommier (2022) 126 pages.
Dans Mokhtar et le figuier, roman, court, sobre, tout en délicatesse, Abdelkader Djemaï raconte l’histoire d’un enfant, Mokhtar, qui grandit dans l’Algérie des années 1950, nous suggérant et nous laissant entrevoir les signes annonciateurs de la guerre, jusqu’à l’indépendance en 1962.
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L’enfant passe ses premières années dans une modeste maison auprès de ses parents et grands-parents dans un petit village, un douar. Il décrit cette vieille bâtisse, son puits, le four en boue séchée dans la courette, près du figuier. Ce figuier aux deux récoltes annuelles, sous lequel son grand-père Kouider fait la sieste et que sa grand-mère Aïchouche lui a présenté un matin comme un membre de la famille, pour sa bonté et sa générosité.
Lassé de louer çà et là ses bras, le père de Mokhtar décide de quitter le douar des Ouled Ahmed. C’est dans une charrette tirée par un mulet que Mokhtar et ses parents prennent donc la direction de la grande ville pour s’installer dans une pièce louée dans un haouch.
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Toujours très observateur, le jeune garçon s’habitue rapidement à son nouvel environnement et sera le premier enfant de sa lignée à franchir le portail d’une école, découvrant alors, outre la mer, le cinéma ou le hammam, la lecture et l’écriture.
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Un après-midi, alors que Mokhtar est dans ses cahiers, sa mère prend son stylo et aligne dans la paume de l’enfant les huit lettres de leur patronyme : un pacte silencieux venait d’être signé, celui d’y ajouter d’autres lettres, d’autres mots, d’autres phrases…
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À hauteur d’enfant, Abdelkader Djemaï (photo ci-dessus) nous restitue l'Algérie à la veille de l'indépendance.
Il décrit le quotidien, l’extrême simplicité et sobriété de cette vie à la campagne avec ses fêtes et moult images odorantes. Très simplement et avec habileté, il fait cohabiter des scènes de vie très sombres, comme les hivers où les paysans doivent affronter la boue et le vent dans des conditions plus que difficiles avec d’autres très lumineuses comme celle où l’on découvre les remèdes utilisés par Aïchouche pour soigner la famille et le secret confié à Mokhtar…
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À la vie rude, dure de ces fellahs qui doivent courber l’échine pour survivre, il brosse en parallèle le portrait de Manhès, le puissant propriétaire alsacien du domaine, qui en loge et en fait travailler une soixantaine sur les centaines d’hectares qui avaient appartenu à leurs aïeux avant la colonisation, qui parade, juché sur son pur-sang et qui reçoit régulièrement les notables de la région. Une colère sourde latente qui ne tardera pas à s’exprimer…
En ville, les habitants du quartier et les locataires du haouch ne trouvent pas vraiment leur place et restent entre eux quand ils ne sont pas sur leurs lieux de travail.
En plus d’un quotidien difficile, le renforcement des barrages sur les routes par l’armée, le bourdonnement des hélicoptères et la danse des convois militaires...
Sans trop savoir, sans trop comprendre, Mokhtar entend parler du maquis, des commentaires sur « La voix libre de l’Algérie libre et combattante », une émission que le FLN émettait en soirée, depuis la capitale égyptienne…
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C’est à travers des images, des odeurs, des sons, des souvenirs, que sont évoquées, et le plus souvent seulement suggérées, ces années allant des prémices de la guerre jusqu’à l’indépendance. Une concentration de sensations dans un récit d’une extrême concision.
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Inoubliable figuier, figure centrale du roman, personnage à part entière, dont Mokhtar imagine les racines courant sous la terre et se perdant dans son grand ventre, et ses branches pareilles à de longs bras aux coudes noueux et à la peau légèrement grise et devant sans doute toucher le ciel. Quelque peu effrayant pour le jeune enfant, mais rassurant par la saveur de ses délicieuses figues violettes !
Cet arbre est le témoin et en quelque sorte le socle de la famille, le gardien des souvenirs enterrés à son pied.
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En honorant le pacte silencieux, Abdelkader Djemaï nous offre sans jamais tomber dans le pathos un roman touchant, sensible, émouvant, délicieux et poétique à souhait où tout est dans le détail, l’attention au quotidien.
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Mokhtar et le figuier se lit comme un conte dans lequel Mokhtar a survécu à la misère, au colonialisme, à la guerre et a appris à lire et à écrire, cette écriture qui le sauvera et nous enchantera.
Ghislaine