Philippe Claudel : Crépuscule

Crépuscule      par    Philippe Claudel.

Stock (2023) 507 pages ; À vue d’œil (2023) 680 pages.

 

 

 

Avec Crépuscule de Philippe Claudel, nous voilà dans un village d’une province reculée située dans un empire imaginaire qui ressemble un peu à l’empire austro-hongrois, au début du XXe siècle.

 

L’histoire se déroule en hiver, sous un climat rude, un hiver qui semble sans fin.

 

Ce village presque arriéré est composé d’une majorité de chrétiens 1378 habitants et d’une petite communauté musulmane qui compte cinquante-quatre âmes, les deux religions cohabitant pacifiquement.

 

 

Deux enfants découvrent un cadavre, celui du curé retrouvé la tête fracassée par une pierre. Aussitôt la tension devient palpable…

 

 

Le binôme, constitué du capitaine Nourio aux pulsions sexuelles récurrentes et de son adjoint Baraj, deux hommes plutôt mal assortis aussi bien physiquement que moralement, est chargé de l’enquête.

 

Mais que peut-il se passer lorsqu’un prêtre, celui qui incarne la religion dominante d’un village, un de ses membres éminents, est assassiné ? C’est à cette question que tente de répondre Philippe Claudel.

 

 

L’auteur nous offre avec Crépuscule, à la fois un roman policier, un roman psychologique, un roman social,  un roman noir, très noir, mais surtout, sous l’aspect d’un roman historique, un roman qui nous parle d’aujourd’hui.

 

 

 

 

Alors que de l’autre côté de la frontière, se trouve un pays dont la bannière est ornée d’un croissant d’or,  bouillonnant de force vive, il est intéressant de voir, comment cet Empire qui commence à décliner, à s’éteindre, va prendre le prétexte de ce fait divers sanglant pour éradiquer de son sein cette petite communauté musulmane, naissante mais active, et la massacrer.

 

 

 

On assiste à la faveur du meurtre du curé, à la montée de la violence, de la haine, dans un engrenage irréversible  et on découvre le comportement abject et corrompu du Maire, du Rapporteur de l’Administration,  du Notaire, du Conservateur des archives, des trois Maîtres d’école, du Receveur, etc...   Une scène de chasse à l’ours particulièrement  épique met en avant leur complicité.

 

 

Impossible de ne pas voir dans ce mécanisme de la haine qui se met en place et cette recherche de bouc-émissaire des échos avec la période dans laquelle nous vivons, où on instrumentalise certains faits que l’on retourne, détruisant ainsi la vérité historique pour aller dans la direction souhaitée.

 

 

Dans Crépuscule, Philippe Claudel ne se borne pas à écrire une énigme policière, il raconte la fabrique d’une contre-vérité, une mécanique millénaire tellement actuelle, à savoir, trouver un ennemi commun, ce qui va souder la communauté.

 

 

Comme avec Le rapport de Brodeck, La petite fille de Monsieur Linh, Les âmes grises (Prix Renaudot 2003) ou L’archipel du chien, je me suis à nouveau régalée avec la lecture de ce roman magistral et envoûtant, à l’atmosphère terriblement inquiétante, qu’est Crépuscule. De suspens en rebondissements, il m’a tenue en haleine du début à la fin, fascinée par ce questionnement on ne peut plus d’actualité.

 

Dans ce monde crépusculaire qui est décrit, le texte très visuel de Philippe Claudel permet une magnifique approche des personnages, des animaux et de la nature.

 

Les personnages sont solidement dépeints et leurs caractères finement analysés.

Si j’ai trouvé trop présentes et répétitives les pulsions sexuelles de Nourio, j’ai beaucoup apprécié son Adjoint, ce géant maladroit et méprisé par son Capitaine, déjà maltraité et moqué dans son enfance, le seul à ne pas courber l’échine, poète à ses heures mais dont les vers s’effacent au fil de leur création…

 

Crépuscule de Philippe Claudel est une sorte de fable politique, une réflexion remarquable, profonde et troublante, sur la nature humaine et sur la fabrication de la vérité historique.

 

De ne pas nommer précisément, ni le lieu où se déroule l’histoire, ni l’époque à laquelle elle se déroule, est une manière d’élargir le propos et de le rendre universel, une manière de dire : cela pourrait se passer ailleurs, aujourd’hui ou demain… Inquiétant...

 

Ghislaine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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M
Je l'ai noté à sa sortie parce que j'aime beaucoup cet auteur même si je choisis toujours un moment où je suis disponible et dans le bon état d'esprit pour le lire parce que ses romans ne sont pas faciles du tout à aborder et souvent très noirs. Merci pour ta chronique.
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D
Merci Manou. Il est vrai qu'en général, ses romans sont tout sauf légers...
A
billet très complet Ghislaine. J'ai apprécié ce livre même si je me suis dit qu'il fallait "le mériter" tant la lecture n'était pas évidente. Mais quelle richesse et surtout quelle jolie récompense on a après l'avoir lu. <br /> Agnès
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D
Merci Agnès !
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