Tiffany McDaniel : Du côté sauvage

Du côté sauvage    par   Tiffany McDaniel.

 Gallmeister (2024) 707 pages.

Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

Titre original : On the savage side.

 

 

 

Après l’inoubliable Betty puis L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel m’a à nouveau séduite avec son troisième roman : Du côté sauvage.

 

 

 

C’est un roman sombre, un roman très sombre mais animé d’un puissant souffle poétique.

 

 

 

Dans les environs de la petite ville américaine de Chillicothe (photo ci-dessous), dans l’Ohio, cette vieille terre autrefois appelée Chala-ka-tha, six femmes disparurent entre 2014 et 2015 sur fond de drogue et de prostitution, deux ne furent jamais retrouvées et les meurtres des quatre autres jamais élucidés.

 

 

Tiffany McDaniel s’est inspiré librement de ce fait divers pour rendre hommage à ces six victimes (photo ci-dessous) à qui elle dédie son livre en mentionnant « Nous ne vous oublions pas ». Quant à moi, je n’oublierai pas cette lecture.

 

 

Situé entre les années 1970 et 1995, Du côté sauvage nous convie à suivre le destin d’Arc et Daffy, des jumelles unies par leurs cheveux d’un rouge flamboyant et leurs yeux étranges, l’œil droit bleu et le gauche vert pour Arc, l’inverse pour Daffy, qu’elles nomment des billes de sorcières.

 

 

Leur merveilleuse mamie Milkweed, un peu sorcière, essaie en les plongeant dans un monde imaginaire de leur insuffler la force dont elles vont avoir besoin pour faire face au monde sordide qui les attend. Elle leur apprend notamment, en fabriquant une couverture, que dans la vie, il y a le côté sauvage et il y a le beau côté. Quand le côté sauvage devient insupportable, il faut, comme dans un ouvrage, prendre une aiguille et faire rentrer les fils pour ne plus les voir et pour le transformer ainsi en beau côté. Mais elle va disparaître trop tôt dans un accident et les fillettes vont alors grandir et passer leur vie dans l’odeur nauséabonde de la papeterie de la ville, à l’ombre de cette usine, dans un premier temps avec leurs parents junkies, puis, à la mort du père après overdose, avec leur mère Adelyn et leur tante Clover, toutes deux junkies prostituées. Ces dernières seront incapables de les protéger des araignées qui hantent les pages de ce bouquin et massacrent les vies d’Arc et Daffy devenues alors des proies dans leur propre maison.

 

 

Pour survivre, les deux sœurs font appel à leur imaginaire, convoquent les chevaux sauvages qui galopent sous la papeterie créant cette fumée qui s’échappe des cheminées, dessinent les cadeaux qu’elles aimeraient recevoir, notamment des ailes qu’elles s’offrent régulièrement, des ailes de plus en plus grandes… dessinent encore leur gâteau d’anniversaire « En fermant les yeux assez fort, nous pûmes sentir le goût du glaçage bleu avec les petites roses rouges qui le décoraient ».

 

 

Et régulièrement, revient comme un leitmotiv, cette demande de Daffy à Arc, de lui raconter quelque chose de beau, la légende vietnamienne des sœurs Trung qui arrivent à repousser une unité chinoise. Quand Arc finira par lui demander « Pourquoi tu aimes tant cette histoire, Daffy ? » Celle-ci répondra «  - Si elles ont pu repousser toute une armée, peut-être que nous, on peut repousser toute une ville. »

 

 

Elles rencontreront d’autres « sœurs », d’autres compagnes de misère, incapables de s’affranchir de ce destin implacable.

Dire que j’ai été bouleversée par ce roman est un euphémisme tant la souffrance est présente à chaque page, certains passages sont même absolument effroyables, quasi insoutenables et s’apparentent à de véritables scènes de torture.

 

 

Cependant la poésie est tout aussi présente et illumine les ténèbres, prenant même possession de la rivière qui devient un personnage à part entière, cette rivière où seront découverts les corps des femmes…

 

J’ai été subjuguée par cette narration basée sur des éléments contraires, obscurité et lumière, force et faiblesse, beau côté et côté sauvage qui se télescopent tout au long du récit.

 

 

Sur fond de détresse économique de toute une région, Tiffany McDaniel (photo ci-dessus) brosse un tableau d’une noirceur terrible sur la toxicomanie et la prostitution qui en découlent, et pourtant elle parvient avec un talent époustouflant à y faire jaillir de la lumière et des instants de lyrisme mêlés d’onirisme exceptionnels.

Ghislaine

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M
Elle a toujours un côté dérangeant et pourtant j'ai beaucoup aimé lire ses deux précédents romans et celui-ci est déjà noté pour quand il sera disponible à la médiathèque, peut-être après l'été... Merci pour ta chronique
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D
ahhh tu me donne envie ! comme toi j'avais aimé Betty, il faut que je prenne le temps de lire celui-ci !
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C
Merci pour votre recension sur Tiffany mc Daniel. . Malheureusement je n'ai pu terminer ce livre à cause notamment de sa violence .... Très belle écriture certes. Quelle force !. J'essaierai à nouveau....<br /> Bonne journée.
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D
Merci Sylvie pour votre commentaire. Il faut effectivement parfois s'accrocher tant la violence est présente et l'autrice a fait preuve d'une réelle prouesse pour la rendre lisible ...
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