Gaël Faye : Jacaranda
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Jacaranda par Gaël Faye.
Grasset (2024) 281 pages.
Rentrée littéraire 2024.
Après Petit pays, Gaël Faye a réussi à me ramener au Rwanda en écrivant Jacaranda.
Ce second roman de Gaël Faye (photo ci-dessous aux Correspondances de Manosque https://correspondances-manosque.org/) est un hymne à la vie. Pour le comprendre, il faut passer par de terribles scènes, ces massacres incroyables, ce génocide préparé, organisé, facilité par la volonté des colonisateurs de classer, de répertorier les habitants du Rwanda.
Milan est le narrateur d’une histoire familiale bouleversante de bout en bout. Fils de Venancia, exilée en France en 1973, il débute son histoire en 1994, histoire qu’il conduira jusqu’en 2020. En ce mois de juillet 1994, le génocide prend fin. Venancia parle kinyarwanda au téléphone. La télévision diffuse des images de mort, de violence, d’exode mais la mère de Milan refuse de parler de son pays et de ce qui s’y passe.
Voilà qu’arrive Claude, présenté par Venancia comme son neveu. Il porte un gros pansement sur la tête, a le même âge que Milan mais est nettement plus petit. Les parents de Milan l’hébergent et ce dernier tente de s’en occuper comme d’un frère. La musique s’invite déjà dans le récit de Gaël Faye car Milan essaie de communiquer avec Claude en écoutant Nirvana, Radiohead… Il danse même mais Claude ne réagit guère, pleure la nuit, montre des signes de terreur, gémit et Milan tente de le calmer.
Gaël Faye raconte cela très bien, avec une délicatesse infinie. L’émotion est sans cesse sous-jacente ; l’humour n’est pas absent et je suis aussitôt captivé.
Quatre ans plus tard, alors que Claude est reparti assez rapidement au Rwanda, que Milan a 16 ans, ses parents divorcent. Pour les vacances d’été, sa mère décide de retourner dans son pays d’origine et emmène son fils avec elle.
Là-bas, se reconstitue peu à peu une histoire familiale compliquée à cause des ravages causés par le génocide. Milan retrouve Claude transformé, fait connaissance avec sa Mamie et doit s’adapter à des conditions de vie un peu frustes.
Il a de la peine aussi à comprendre qu’on le considère comme un Blanc alors qu’il est métis. Heureusement, Claude lui sert de guide et d’interprète. Il lui présente Sartre, un personnage hors du commun qui recueille dans son « Palais », des mayibobo, enfants de la rue. Il consomme beaucoup de bière de banane, collectionne les livres et s’enivre de musique, ce que Milan apprécie.
Les discussions se font de plus en plus franches, fortes, émouvantes et des vérités émergent. Milan fait connaissance avec Eusébie (43 ans), une tante qui vit dans un quartier riche. Elle a un bébé, Stella, et une grand-mère, Rosalie, dont le rôle ne sera pas négligeable.
2005 est une nouvelle étape avec le retour de Milan au Rwanda.
Le magnifique jacaranda du jardin est un lieu de refuge pour Stella pendant que les procès des assassins se tiennent à la campagne. Ce sont les gacaca (photo ci-dessus). C’est un moment très fort avec le récit de Claude, les dénégations maladroites des génocidaires. Une écriture précise, profondément humaine, bouleversante.
En 2010, nouveau retour de Milan à Kigali, la capitale, qui se transforme rapidement. Peu à peu, le parcours de chaque membre de la famille apparaît. C’est le moment le plus fort de Jacaranda quand Stella lit en public le récit de la vie de Rosalie. Il révèle beaucoup de surprises, d’événements incroyables, mettant en évidence l’état d’esprit des Rwandais conditionnés par les Pères Blancs et les scientifiques belges mais la France ne sera pas exempte de tout reproche.
Il faut encore et toujours détailler cet engrenage atroce pour ne pas oublier, comme le fera Eusébie devant 90 000 personnes : poignant, bouleversant, révoltant, une horreur absolue. Devant l’attitude de l’Église, de certains prêtres complices, attirant les fidèles tutsi à la messe pour mieux les regrouper afin de faciliter leur massacre, je ne comprends pas comment ceux qui restent peuvent encore croire en Dieu ! Un mystère de plus pour l’âme humaine…
2020, le covid se répand. Gaël Faye mène au bout Jacaranda, nouveau roman fort et indispensable, à son terme, sur le lac Kivu.
Ne pas oublier, rappeler, raconter, ce n’est pas appeler à la vengeance. Comme le dit Alfred : le cycle de la vengeance est sans fin. Il faut en sortir et Jacaranda est un roman essentiel pour cela.
Jean-Paul