Gaël Faye : Jacaranda
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Jacaranda par Gaël Faye.
Grasset (2024) 281 pages.
Rentrée littéraire 2024.
Au printemps 1994, Milan, collégien à Versailles, enfant unique, voit arriver le Rwanda dans sa vie par la télévision. Sa mère, Venancia, Rwandaise, arrivée en France en 1973, taisant totalement ses origines, n’en avait jamais parlé.
Vers la fin de l’été, un peu avant la rentrée scolaire, il voit débarquer chez lui, sans que ses parents l’aient prévenu, un petit garçon chétif au regard apeuré, avec un épais pansement sur la tête. Il s’agit de Claude, arrivé du Rwanda et que sa mère essaie de rassurer en s’adressant à lui en kinyarwanda.
Les deux garçons vont finir par s’apprivoiser et devenir grands amis. Mais un jour, Milan, abasourdi, apprend de sa mère que Claude est retourné dans son pays natal disparaissant ainsi de leurs vies aussi vite qu’il y était entré.
Quatre ans plus tard, en 1998, ses parents venant de divorcer, Milan se rend avec sa mère au Rwanda pour l’été. Il fera connaissance avec des membres de sa famille, retrouvera Claude et se trouvera plongé, sans le vouloir, dans l’histoire du pays. Il lui faudra cependant des années et de nombreux autres voyages et séjours pour le découvrir et en percer les silences.
Huit ans après Petit pays, roman partiellement autobiographique couronné par treize prix littéraires, l’écrivain franco-rwandais Gaël Faye (photo ci-dessous), auteur-compositeur-interprète et rappeur avec plusieurs albums à son actif, publie Jacaranda dans lequel il s’appuie sur quatre générations pour raconter cette histoire terrible du Rwanda dévasté par le génocide des Tutsi, la difficile reconstruction de son pays après celui-ci, qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, il y a eu de nombreux éléments précurseurs avant qu’on arrive à ce point culminant de violence et j’ai trouvé très intéressant et pour ma part très instructif cette remontée dans le vingtième siècle et le rôle majeur joué par les Belges et les Pères blancs (photo ci-dessous). J’ai été effarée de découvrir les méthodes « scientifiques » déployées par les Belges pour décréter qui est Tutsi, qui est Hutu et comment le poison de la division et de l’ethnisme a été habilement distillé par les colons belges et l’Église.
Jacaranda est un roman pudique mais terriblement efficace, aussi fort que sensible.
Si le livre reprend le génocide des Tustsi, ce sont surtout les répercussions, les maux qui continuent à hanter le peuple rwandais que Gaël Faye essaye de sonder, la vengeance habite toujours le cœur de ceux qui ont perdu leurs proches. Le silence pèse encore sur les victimes et leurs familles, et les enfants nés après la tragédie ont appris à ravaler leurs émotions. C’est pourquoi Stella, dans le roman, brillante élève mais fragile n’avait d’autre refuge pour épancher ses peines que le jacaranda de sa cour, cet arbre flamboyant et majestueux, un lieu secret qu’elle ne partagera qu’avec Milan, dans lequel elle trouvait refuge et qui représentait pour elle son ami, son enfance, son univers.
Il est également beaucoup question des gacaca (photo ci-dessous), ces juridictions populaires mises en place par le gouvernement qui ont été réactivés pour accélérer le nécessaire procès des quelques centaines de milliers de personnes accusées de participation au génocide des Tustsi de 1994, après une attente d’une décennie, et ainsi permis l’arrêt de l’impunité, chacun devant répondre de ses actes. Une façon également de libérer la parole…
Gaël Faye présente cette fresque familiale pour parler de l’après, avec beaucoup de sensibilité et de poésie. Sous une forme romanesque, il nous emmène dans son pays natal, et c’est l’histoire contemporaine qui se déroule sous nos yeux dans un cadre et une ambiance que l’auteur sait brosser à merveille, qu’il s’agisse de la vie grouillante de cette vaste cour bordée d’habitations en piteux état où vit Sartre ou de la paix qui règne sur les rivages magnifiques du lac Kivu, dans ce vieux chalet en ruine…
En outre, Gaël Faye, en artiste accompli, a su rythmer son récit en y incorporant fort judicieusement des moments musicaux intenses.
En résumé, si la société rwandaise est encore une société de défiance, le chemin vers la réconciliation semble en bonne voie.
J’ai lu et compris Jacaranda comme un désir d’avenir et de vie. À lire absolument !
Ghislaine