Maylis de Kerangal : jour de ressac
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Jour de ressac par Maylis de Kerangal.
Éditions Verticales, Gallimard (2024) 241 pages.
Rentrée littéraire 2024.
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La narratrice, la cinquantaine, jamais nommée dans le roman et s’exprimant toujours à la première personne, vient de rentrer dans son appartement quand elle reçoit un coup de fil d’un officier de police judiciaire. Celui-ci lui intime de se présenter au commissariat du Havre le lendemain, le corps d’un homme ayant été retrouvé sur la voie publique il y a deux jours, un individu non identifié et sur lequel elle est censée pouvoir donner des informations.
Mais que peut-elle avoir en commun avec cet homme que l’on a trouvé si ce n’est à minima cette ville du Havre où elle a vécu jusqu’à l’âge adulte et où elle n’est retournée qu’une fois.
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Elle s’y rend donc, apprend que le cadavre a été retrouvé sur la plage à côté de la digue nord avec dans la poche de son jean le numéro de téléphone de l’intéressée inscrit sur un ticket de cinéma. Il était sans doute mêlé au trafic de drogue dont Le Havre est devenu maintenant une plaque tournante, mais les photos du mort qui lui sont alors présentées ne lui disent absolument rien.
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Après cet entretien, plutôt que de reprendre le train pour Paris, elle va s’attarder et va retrouver sans peine la ville de sa jeunesse.
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Cette ville du Havre devient alors un personnage du livre à part entière.
Avec cet appel téléphonique et ce retour dans cette ville où est né son père, c’est un véritable jour de ressac que va vivre la narratrice, un ressac permanent d’émotions, émotions pour la plupart refoulées.
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Tout en cherchant ce qui pourrait la relier à cet homme et en reprenant contact avec la ville qui a forgé son identité, les souvenirs et les émotions surgissent. Une phrase à laquelle elle pense : « Le jour où la mer avait été visible depuis la gare, le jour où on l’avait réellement discernée depuis le bout des rails, telle une strate plus sombre à la base du ciel, c’est au matin du 7 septembre 1944, une fois la ville aplatie, laminée, rasée par les Alliés », lui rappelle l’interview particulièrement bouleversante de Jacqueline, une rescapée de la destruction du Havre, faite dans le cadre d’un exposé réalisé en terminale avec son amie Vanessa.
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Autre résurgence du passé, son premier amour qui n’a plus jamais donné de nouvelles et qui, tel un fantôme, se manifeste à l’évocation de ce corps non identifié.
C’est non seulement le passé historique de cette grande cité portuaire et les bombardements meurtriers et destructeurs de la ville durant la seconde guerre mondiale qui est retracé mais également son présent avec cette emprise croissante du trafic de cocaïne, dévastateur lui aussi.
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À ces réminiscences du passé, à ces déchirures sont mêlées une introspection sur sa vie actuelle. Elle évoque son métier de doubleuse de cinéma, de « voix », qui lui permet de se glisser dans d’autres corps mais qui progressivement semble vouloir être remplacé par l’intelligence artificielle, sa fille Maïa qui, la vingtaine, est prête à l’envol, son compagnon Blaise…
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À ce ressac émotionnel, à ce va et vient continu entre passé et présent, s’ajoutera au cours de cette journée, un véritable ressac, le retour brutal d’une énorme vague qui se fracasse sur la digue et l’envoie valdinguer. Complètement trempée, son entrée dans un bar va la mettre en présence de réfugiées, ukrainiennes en l’occurrence, qu’elle verra partir sur un ferry direction Londres, pour fuir le traumatisme et l’espoir d’une vie meilleure…
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J’aurais évidemment bien aimé que l’énigme de cet homme assassiné soit résolue mais cela ne m’a pas empêchée d’apprécier la force et la beauté de ce roman dans lequel j’ai beaucoup aimé les réflexions sur le monde et dans lequel j’ai retrouvé avec plaisir le style si caractéristique de Maylis de Kérangal (photo ci-dessous) avec ses phrases longues et puissantes, et cette écriture qui n’hésite pas à faire cohabiter langage soutenu, langage jeune et argot selon les personnages et les situations évoquées.
Je regrette un peu que sa relation avec son compagnon et sa fille n’ait pas été plus étoffée.
Jour de ressac est un roman de l’intime qui mêle somptueusement les éléments naturels aux sentiments et ce, avec de nombreuses références au cinéma.
Ghislaine