Philippe Jaenada : La désinvolture est une bien belle chose

La désinvolture est une bien belle chose    par  Philippe Jaenada.

Mialet-Barrault (2024) 486 pages.

Rentrée littéraire 2024.

 

 

Si en février 2023, Philippe Jaenada s’est rendu sur la plage de Dunkerque, c’est dans un premier temps pour s’immerger, huit ans après l’écriture de La petite femelle, dans le décor de l’enfance et de la jeunesse de Pauline Dubuisson, ayant craint s’il était venu du temps de l’écriture de s’être laissé imbiber par l’émotion…

 

 

Mais il se rend compte que lorsqu’il tourne son regard vers la mer, ce n’est pas seulement à cette jeune femme qu’il pense mais c’est à une autre fille qui tombe du ciel, une fille inconnue qui se jette par la fenêtre, à l’aube du 28 novembre 1953.

 

Dans La désinvolture est une bien belle chose, Philippe Jaenada, conte l’histoire vraie de Jacqueline Harispe surnommée Kaki et, tel un enquêteur, va, comme dans ses précédents romans, pour essayer de retracer sa courte vie, creuser pour tenter d’en savoir plus sur celle que Vali Myers, artiste australienne  ou Jean-Michel Mension, ami de Guy Debord avec qui il participe à l’internationale lettriste, décrivent comme la beauté du quartier, la reine du quartier, la plus jolie fille de toutes, et tenter de savoir et comprendre «  Pourquoi, un matin d’automne, une si jolie jeune femme, intelligente et libre, entourée d’amis, admirée, une fille que la vie semblait amuser, amoureuse d’un beau soldat américain qui l’aimait aussi, s’est jetée à l’aube par la fenêtre d’une chambre d’hôtel, à vingt ans ? »

 

 

Jacqueline née en 1933 passait son existence Chez Moineau, un bar minuscule tenu par le couple Moineau. C’est moche, sale mais il y fait chaud et la mère Moineau cuisine bien. C’est ainsi que, attirés par la soupe, le vin pas cher et le poêle, des jeunes nés dans le début des années 1930 et qui avaient donc une dizaine d’années pendant la guerre se sont retrouvés et consumés dans les années 50, à 16 ou 17 ans, dans ce petit bistrot : « Ils voulaient rester enfants, ils avaient besoin d’enfance, celle qu’ils n’avaient pas eu ». Ils sont quasiment tous issus de famille instable et essaient de se recréer une enfance, ils inventent une façon d’être ...

 

 

 

À travers Kaki, c’est cette génération perdue d’après-guerre que l’écrivain tire  de l’oubli et réhabilite en quelque sorte. Il le fait méticuleusement, minutieusement, croisant et recoupant les informations et témoignages qu’il découvre, non sans peine, grâce aux différentes archives. Il faut dire qu’il n’a pas son pareil pour exhumer des détails que les précédents enquêteurs n’ont pas eu le temps de décortiquer ou la curiosité d’approfondir.

 

 

Il s’appuie également sur plusieurs ouvrages ayant trait à la jeunesse de cette époque. Il mentionne dès le début, le roman de Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, qui se déroule en bonne partie dans un bar du Quartier latin calqué sur ce petit établissement du 22 rue du Four, titre tiré d’ailleurs d’une phrase de Guy Debord (photo ci-dessus). Jean-Marie Apostolidès, prof à Stanford, n’a pas hésité à lui transmettre tout ce qu’il avait rassemblé depuis plus de vingt ans, il s’éteindra avant la parution du livre sans que Philippe ait pu le rencontrer.

 

 

Même si j’ai pu accéder à quelques photographies sur internet, que n’ai-je eu entre les mains ce Love on the Left Bank dans lequel Ed van der Elsken a immortalisé sur ses photos, ces jeunes, leur donnant un moment de vie, certes éphémère.

 

 

 

Pour raconter cette histoire, pendant son écriture, Philippe Jaenada (photo ci-contre)  a eu l’idée somme toute assez originale de faire le tour de la France métropolitaine par les bords, en vingt-quatre jours, à bord d’une voiture de location, prenant pour titre de chaque chapitre, le port ou la ville où il s’arrête. Il nous fait ainsi partager son insouciance et ses réflexions non dénuées de bon sens, notamment sur le temps qui passe, lors de ces étapes hôtelières, avec cet humour ô combien salvateur qui lui est propre, et ce regard chargé d’émotions lorsqu’il évoque son épouse Anne-Catherine ou son fils Ernest.

 

 

Une manière pour lui, en vivant ces moments de laisser-aller, de décompresser un peu du récit plutôt sombre qu’il écrit et pour nous également, en le lisant.

 

 

Ce qui fait le charme de ses romans, c’est que dans le drame, il n’oublie jamais la dérision.

J’ai  été tenue en haleine du début à la fin par ce roman en découvrant la vie de ces Moineaux parisiens, émue et bouleversée de découvrir l’enfance de certains d’entre eux puis leur jeunesse.

 

 

J’ai également beaucoup appris sur la Cagoule, cette organisation politique et militaire clandestine de nature terroriste, d’extrême droite, anticommuniste et antisémite dont le père de Jacqueline Harispe était membre.

 

 

 

Étant pourtant une inconditionnelle de Philippe Jaenada, je dois cependant avouer que j’ai été à deux doigts de renoncer à ma lecture, tant les personnages étaient nombreux, les références à d’autres tout aussi nombreuses, et même le conseil de l’auteur nous invitant à ne pas s’embêter à retenir tous les noms ne m’a pas complètement convaincue.

 

Photo ci-dessus : Vali Myers.

 

J’ai dû persévérer encore un peu et ne l’ai pas regretté tant, petit à petit, j’ai été captivée et émue par ce roman psycho-géographique, et me suis prise d’affection pour ces émouvants Moineaux et particulièrement pour cette magnifique Kaki représentée sur la très belle photo de couverture du roman.

 

Ghislaine

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hâte de l'écouter à Manoque !
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