IV. Correspondances de Manosque 2024
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IV. Correspondances de Manosque 2024
26ème édition
Samedi 28 septembre.
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Ce samedi est le jour le plus important de nos Correspondances 2024. Non seulement il faut prendre place de bonne heure pour Maylis de Kerangal qui intervient le matin mais, comme beaucoup de monde, nous attendons impatiemment la soirée. En effet, Gaël Faye va se produire sur la scène du Théâtre Jean-le-Bleu et lire des pages de Jacaranda, son second roman qui nous a beaucoup marqué. La foule est là et les places de la vieille ville ne vont pas désemplir de toute la journée.
Maylis de Kerangal : Jour de ressac (Verticales)
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Voici encore un livre que nous avons lu tous les deux et c’est une bonne motivation que d’écouter ce que son autrice peut en dire.
Tout commence avec la découverte du corps d’un homme, au bord de l’eau, au Havre, en novembre 2022. À partir de là, Maylis de Kerangal (photo ci-contre) propose le retour vers son passé d’une femme qui, comme elle, a vécu sa jeunesse dans cette ville.
Pour l’autrice, le « je » s’est imposé parce qu’avec le « je », elle dit qu’elle peut faire tout ce qu’elle veut. En plus, Jour de ressac vient après Canoés et lui permet de « dilater ce je ». Pour sa ville d’origine, elle s’autofictionne et, avec le « je », elle gagne en présence et dans la voix.
Le Havre a été complètement détruite par les bombes alliées à la fin de la Seconde guerre mondiale. Ensuite, elle a été reconstruite entièrement et c’est là que Maylis de Kerangal a grandi avec un horizon marin, l’espoir, le lointain, le fleuve, le port…
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Quand l’autrice nous lit le passage sur les bombardements, nous ressentons une force extraordinaire car cette ville a été comme un cadavre puis s’est relevée. Comme un ressac, quatre-vingts ans après, voilà le retour brutal d’un cycle de violence avec le narcotrafic. Le ressac est aussi à l’intérieur du roman avec Craven, cet amoureux d’autrefois qui, comme un fantôme, peut revenir. En plus, la narratrice ne reconnaît plus sa fille quand elle danse…
Enfin, à la demande de Régis Penalva, modérateur avisé, Maylis de Kerangal se lance dans une nouvelle lecture qui déclenche des applaudissements nourris, bien mérités.
Silence on lit !
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Depuis 2017, voici une habitude bien ancrée à Manosque : le quart d’heure de Silence on lit ! Cette association nationale œuvre pour maintenir et développer la lecture au cœur de nos habitudes. Olivier Delahaye, son président, est sur la scène, avec Patricia, pour présenter l’action de Silence on lit ! en direction des familles, des établissements scolaires et des entreprises.
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En effet, la lecture est en danger à cause des nombreuses distractions qui interfèrent continuellement dans nos existences. Silence on lit ! cherche à convaincre toutes celles et tous ceux qui ne lisent pas, qu’elles ou qu’ils soient jeunes, actifs ou retraités. Le réseau s’étoffe mais ce n’est pas suffisant.
Patricia précise qu’on lit ce que l’on veut afin de développer le goût de lire et que l’empathie favorisée par la lecture et l’écoute de l’autre oriente la lecture vers le plaisir et l’échange. Elle ajoute que c’est un travail de colibri mais qu’il faut y croire.
Enfin, le moment tant attendu arrive, même si le silence si nécessaire est loin d’être évident. Chacune et chacun se plonge dans son livre, son journal ou son magazine pour un bon quart d’heure de plaisir.
Abel Quentin : Cabane (L’Observatoire)
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Pour son troisième roman, Abel Quentin (photo ci-dessous) s’est inspiré du rapport Meadows sur les limites de la croissance, rapport publié en 1972. Dans Cabane, l’auteur le nomme Rapport 21. Ghislaine a publié son ressenti le 20 octobre dernier et cette lecture l’a fortement marquée.
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Choqué par ce rapport qui prédit un effondrement au cours du XXIe siècle, l’auteur a transposé tout cela dans la fiction, le roman. Yann Nicol qui anime cette rencontre, pose les bonnes questions à propos de ce thème universel, de ce message qui n’est pas écouté.
En opposition à la grande ville, la Cabane est un lieu ambivalent, à la fois refuge favorisant l’isolement et ouvert sur la nature, le vivant. Certains font le choix de la violence pour alerter mais sans grand succès. L’art, le cinéma, le théâtre, la poésie peuvent s’emparer de ce thème mais les conflits entre les générations retardent inéluctablement la prise de conscience indispensable. On nous reproche les trente glorieuses mais faut-il encore laisser filer l’humanité vers l’inexorable ?
Alors, la comparaison avec le naufrage du Titanic revient car nous coulons et l’orchestre continue de jouer…
Safiya Sinclair : Dire Babylone (Buchet-Chastel)
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Chaque année, à Manosque, nous avons la chance de découvrir une autrice ou un auteur étranger. Aujourd’hui, c’est Safiya Sinclair que nous présente Salomé Kiner avec l’aide, comme interprète, d’Angela Kent.
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Safiya Sinclair, de nationalité étasunienne, est née à la Jamaïque. Dans Dire Babylone, elle raconte sa naissance, son enfance, son père autoritaire et elle fait partager cette culture rasta souvent déformée chez nous.
Les Rastas sont contre l’impérialisme, contre la colonisation et l’écriture de Safiya Sinclair est une réponse à l’oppression sans négliger une grande sensualité. Sa poésie est connectée aux paysages. Elle, première enfant d’une mère qui pensait ne jamais en avoir, affirme qu’il ne faut pas écouter Babylone. Elle a un cœur de lion. Elle est curieuse, téméraire, et ne suit pas l’avis de son père.
Heureusement, sa mère lui a donné son premier livre de poésie, à l’âge de 10 ans, et l’a aidée à se développer car elle est pédagogue, une enseignante réputée. Une fois à Charlottesville, bastion de la guerre de sécession, son père parlait toujours de Babylone qui représente tous les maux du monde occidental mais elle ne l’a pas écouté, devenant la première poétesse noire à l’université de Charlottesville qui fut construite par des esclaves.
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Dire Babylone affirme, aux yeux de tous, le destin hors du commun de Safiya Sinclair.
Alice Zeniter : Frapper l’épopée (Flammarion)
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Comme Maylis de Kerangal, la veille, Alice Zeniter faisait partie du club des critiques de la NRF. La voici, avec Salomé Kiner comme modératrice, pour parler, cette fois, du livre qu’elle vient de publier : Frapper l’épopée.
Jean-Paul en a parlé le 28 septembre dernier et c’est un roman qui nous touche beaucoup car il traite de la Nouvelle-Calédonie dont on ne parle que lorsque la violence s’y impose.
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Les ancêtres d’Alice Zeniter n’étant pas Calédoniens, elle s’est demandé quelle légitimité elle avait pour écrire Frapper l’épopée. Alors, lancée dans une fiction, avec Tass comme personnage principal, elle réussit un roman passionnant qui permet d’abord de découvrir cette Nouvelle-Calédonie investie par la France dès 1853 ; l’île est devenue colonie pénitentiaire l’année suivante.
Alice Zeniter insiste sur l’appartenance au clan pour les Kanak mais elle ne pouvait pas s’inspirer d’un clan précis. Alors, elle en a créé un, déclenchant une empathie violente pour un trio qui lance des actions n’appelant pas la répression.
Elle nous apprend que la tradition kanak veut que le vrai nom appartienne à l’intime et qu’on ne le donne pas pour que personne ne s’en empare ; la magie fait toujours partie des traditions. Comme chez les Kabyles, ce territoire n’a pas d’archives écrites par les autochtones. Ce n’est qu’à l’arrivée des colons que l’on commence à écrire l’histoire de la Nouvelle-Calédonie alors que les Kanak racontent tout à partir des lieux, des plantes, de leurs émotions.
Lecture musicale : Jacaranda(Grasset)
de et par Gaël Faye, accompagné par Samuel Kamanzi (guitare et chant).
C’est un grand moment que nous vivons ce soir. Le Théâtre Jean-le-Bleu est à guichets fermés dès le premier jour de location et nous savons que beaucoup d’autres auraient voulu être là pour voir Gaël Faye apparaître sur scène, accompagné par son fidèle musicien : Samuel Kamanzi.
D’emblée, la lecture de quelques pages de Jacaranda nous prend aux tripes.
Tous les deux, nous avons eu la chance de lire le second roman de Gaël Faye (photo ci-contre), après Petit pays. Ghislaine a publié le 10 septembre et Jean-Paul, le 20 octobre.
Autour de ce jacaranda, l’arbre fétiche de Stella, se noue la mémoire ce terrible génocide que Milan, enfant métis venu de France découvrir le pays de sa mère, va voir se révéler. Gaël Faye lit avec une émotion et un talent énormes. Samuel Kamanzi à la guitare livre une mélodie triste et vibrante comme sa voix qui nous ramène là-bas, au « pays des mille collines ».
Enfin, Gaël Faye interprète, pour notre plus grand régal, quelques morceaux de ses albums et nous voudrions que ça dure tellement c’est fort. Il nous pousse même à reprendre des refrains avec lui : « Respire ».
Les Correspondances de Manosque viennent de nous permettre de vivre une des soirées les plus fortes de ces dernières années : inoubliable !
Ghislaine et Jean-Paul