Joy Sorman : Le témoin
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Le témoin par Joy Sorman.
Flammarion (2024) 275 pages.
Avec Le témoin, Joy Sorman (Sciences de la vie et La peau de l'ours) nous offre une vision politique très intéressante de l’incapacité judiciaire en nous faisant pénétrer au cœur de la machine et ce, grâce à Bart.
Bart, un personnage fictif est de ces hommes discrets qui ne laissent apparaître aucune particularité, aucun signe distinctif et peuvent passer inaperçus.
Licencié de Pôle-Emploi, lui, qu’on a voulu effacer, se retire de sa propre initiative, programme sa relégation et choisit son exil. Il se rend au nouveau tribunal de Paris récemment inauguré, dans le dix-septième arrondissement, deuxième plus haut bâtiment de la ville.
L’espace vertigineux dans lequel il pénètre lui fait d’abord penser à un mall ultramoderne puis à un hôpital. Si, ici, on y châtie davantage qu’on ne soigne, on y entre cependant le plus souvent contre son gré, pense-t-il, et, de toute manière, « Accusé, victime ou patient, c’est le même statut, friable, diminué, le même destin incertain ».
Il s’y installe clandestinement, caché la nuit dans un faux-plafond et passe ses journées à assister aux audiences de nombreuses chambres.
C’est donc à travers son regard que nous découvrons la machine judiciaire et ses dysfonctionnements.
Avec ce personnage de Bart, Joy Sorman a choisi la forme du roman pour transcrire sa propre immersion pendant plusieurs mois au cœur de ce palais de justice, nous permettant ainsi, entre fiction et documentaire d’appréhender les différentes manières dont la justice est rendue et, surtout nous faire découvrir les failles de l’institution.
J’ai trouvé très pertinent et original d’utiliser la fiction et un personnage complètement anonyme pour mettre un coup de projecteur vif et acéré sur un aspect et pas des moindres, de la société dans laquelle nous vivons : la justice.
Le regard de Bart sur ces magistrats dans l’exercice de leur fonction, qui se veut toujours neutre, est d’une pertinence absolue et le plus souvent terrifiant.
Au fil des audiences, des comparutions immédiates aux Assises, sont mis en évidence des faits incontournables, à savoir :
- une mauvaise maîtrise de la langue pour le prévenu est tout à fait rédhibitoire ;
- devant des cas douteux, la justice ne prend aucun risque, préférant enfermer un innocent que laisser un coupable dehors ;
- dans la tête des juges, seule la prison est inéluctable et incontestable, les autres peines possibles n’étant pas considérées comme de vraies peines, l’opinion publique, en majorité d’ailleurs, pense de même, et pourtant l’inefficacité du choc carcéral sur les petits délits et les récidivistes n’est plus à démontrer ;
- beaucoup à dire aussi du jugement raide que représente l’expertise psychiatrique…
J’ai trouvé par ailleurs judicieux de mettre en parallèle Pôle Emploi et l’institution judiciaire, deux machines ayant souvent un rôle similaire, celui de broyer les individus.
Avec Le témoin, Joy Sorman décrypte les codes et les usages, met en relief le fossé qui existe entre les magistrats et les classes sociales populaires. Ce sont quasiment deux classes sociales qui s’affrontent, l’une, souvent arrogante, figée sur ses à priori, jugeant l’autre avec brutalité.
Difficile pour ne pas dire impossible à la fin d’une telle lecture de ne pas mettre en doute l’incapacité judiciaire, mais d’autres alternatives sont-elles possibles pour vraiment rassurer la société ? Bart, en tout cas, pour notre plus grand plaisir, va faire une tentative de résistance…
Ghislaine