Abdellah Taïa : Le Bastion des Larmes
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Le Bastion des Larmes par Abdellah Taïa.
Julliard (2024) 212 pages.
Rentrée littéraire 2024.
Prix Décembre 2024.
J’ai retrouvé en lisant Le Bastion des Larmes (Prix Décembre 2024) tout l’enthousiasme, la spontanéité, la conviction et le réalisme avec lesquels Abdellah Taïa avait présenté son roman aux Correspondances de Manosque.
Le personnage principal, Youssef, 46 ans, professeur marocain exilé à Paris, sur l’insistance de ses six sœurs, est de retour à Salé, ville située au bord de l’Atlantique, tout près de Rabat. Il revient dans sa ville natale pour liquider l’héritage familial, vendre le dernier lien qui le rattachait à sa vie d’avant.
C’est alors tout un passé, son enfance meurtrie dans le Maroc des années 1980, les traumatismes de sa jeunesse liés à son homosexualité, la soumission et les humiliations qui ressurgissent.
Issu d’une famille pauvre, dernier d’une fratrie composée de six sœurs et trois frères, cet enfant pas comme les autres, drôle, efféminé, doit rester dans la cuisine quand la famille reçoit du monde et c’est avec ses sœurs qu’il a ri, dansé, qu’il a tout partagé, sans qu’elles n’aient jamais prononcé le mot gay, mithly. Tout en sachant les horreurs qu’on lui faisait subir dès qu’il mettait les pieds hors de la maison, elles ne le protégeaient pas mais ne le jugeaient pas. Mais très vite ses sœurs ont toutes quitté la maison familiale, se détournant de lui et oubliant ce qu’elles ont vécu avec lui, ce qui fait dire à Youssef, de manière récurrente : « Les femmes ne devraient jamais se marier ».
Youssef se souvient aussi de Najib, son premier amant, qui, pour survivre, est parti vivre avec le colonel Toufik, un homme corrompu et trafiquant de drogue parce qu’il lui offrait un espace où il pouvait fuir. Pour Youssef, ce sont les poèmes arabes et romantiques qui lui ont permis de s’échapper.
C’est toute la violence et l’hypocrisie de la société envers les minorités sexuelles, les femmes et les enfants et principalement la discrimination des homosexuels dans son pays natal sans oublier le poids de la religion que Abdellah Taïa dénonce avec force dans ce roman. C’est aussi une charge contre le pouvoir et cette caste de privilégiés corrompus qui font les lois, les impose à tous tout en les enfreignant en permanence. Les différences sociales se payent également au prix fort.
Je me suis régalée à la lecture de ce roman dans lequel l’écriture peut être poétique et même lyrique et parfois très crue, mais toujours superbe et vivante.
Le Bastion des Larmes est un titre qui fait référence à la construction de fortifications et de bastions tout autour de Salé, après l’attaque castillane de 1260, pour la protéger des futures attaques des chrétiens.
C’est dans ce lieu triste et magique – Un mausolée en plein air pour les inconsolables, que Youssef viendra à deux reprises.
Vengeance et pardon sont au cœur de ce roman déchirant et bouleversant largement autobiographique, avec un dernier paragraphe superbe !
Ghislaine