Clara Breteau : L'avenue de verre
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L’avenue de verre par Clara Breteau.
Seuil (2025) 221 pages.
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Anna, la narratrice, bien que née de père inconnu aux yeux de l’état civil, puisque née sous X, connaît pourtant son père. S’il n’a pas voulu leur donner son nom, Baloul, à elle et à son frère, c’était disait-il pour les protéger du racisme. Mais Anna avait fini par comprendre que ce nom était déjà pris par d’autres enfants, une autre femme, qui vivaient avec lui pas très loin.
Algérien, arrivé en France en 1962, après avoir passé plusieurs semaines dans la rue, être allé de petit boulot en petit boulot, il avait trouvé refuge à Tours et travaillait comme laveur de carreaux sur l’avenue de verre qui traverse la ville, passant sa vie à effacer les traces. Surnommé Johnny, il était même devenu le laveur de carreaux le plus célèbre de la ville !
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À sa mort, Anna se rend compte que ce père, elle le connaît très peu. Elle n’a même jamais cherché d’images de la ville de Batna (photo ci-dessous) d’où il venait. Elle a bien des images, des souvenirs, mais elle va tenter de retrouver d’autres signes estompés, ceux de la relation qui les a unis mais également ceux du monde qu’il a quitté, de l’autre côté de la mer.
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Si Anna écrit et enseigne à l’université et que son métier consiste à interroger des gens, trouver des sources et collecter des histoires, quand il s’agit d’enquêter sur son père, ses outils s’émoussent.
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Les traces laissées par son père sont faibles et elles ne sont pas forcément dans les seules rues de Tours (photo ci-dessus). Anna cherche aussi dans ce passé colonial, ce passé colonial vécu par toute une génération d’exilés. Mais elle, elle ne l’a pas vécu, d’où de nombreuses questions qui la hantent, à savoir ce qu’elle doit faire de ces traces, ces traces que son père effaçait sur les vitrines de l’avenue.
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Elle va également partir sur celles de son grand-père Hadj, harki massacré par le FLN, ce grand-père qui avait été sorcier en Algérie, un marabout, un guérisseur, lui avait-on dit.
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Par association, Anna ne peut s’empêcher de penser au prestidigitateur Robert-Houdin (photo ci-contre), le père du jardin truqué, qui a rencontré les marabouts anciens du monde de son grand-père, et à cette mission en Algérie en 1856, que les autorités françaises lui avaient confiée.
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Photo ci-dessus : Harkis.
Claire Breteau relate dans cette autofiction une émouvante quête intime.
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À travers cette histoire familiale et coloniale, l’autrice décrypte le traumatisme colonial chez les enfants de la diaspora nés en France bien après l’indépendance avec une extrême sensibilité. Le texte d’une écriture magnifique est peuplé d’images poétiques et joue en permanence sur les transparences, les opacités, les ombres et les reflets.
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Touchant et pudique, intime et universel, bouleversant mais très instructif lorsque sont évoqués les non-dits de l’histoire algérienne, ce roman m’a causé une intense émotion lorsque Anna évoque cette chanson « A Vava Inouva » (mon papa à moi) de Idir (photo ci-dessus), ce chanteur, auteur-compositeur-interprète et musicien algérien d’expression kabyle, le refrain étant une allusion à une jeune fille sauvant son père prisonnier d’une forêt peuplée d’ogres et de fauves… J’ai eu en effet l’immense chance d’avoir pu assister à un concert de cet artiste à la voix sublime : un moment hors du temps !
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Avec L’avenue de verre, Clara Breteau signe un superbe premier roman.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette belle découverte.
Ghislaine